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Page:Verne - P’tit-bonhomme, Hetzel, 1906.djvu/409

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p’tit-bonhomme.

« Je serais étonné, mon garçon, lui dit-il, si tu ne revoyais pas tôt ou tard la famille Mac Carthy.

— Eux… en Australie !… à des milliers de milles, monsieur O’Brien !

— Peux-tu parler de la sorte, mon enfant ! Est-ce que l’Australie n’est pas dans notre quartier ?… Est-ce qu’elle n’est pas à la porte de notre maison ?… Il n’y a plus de distances aujourd’hui… La vapeur les a supprimées… M. Martin, sa femme et ses enfants reviendront au pays, j’en suis sûr !… Des Irlandais n’abandonnent pas leur Irlande, et, s’ils ont réussi là-bas…

— Est-il sage de l’espérer, monsieur O’Brien ? répondit P’tit-Bonhomme en secouant la tête.

— Oui… s’ils sont les travailleurs courageux et intelligents que tu dis.

— Le courage et l’intelligence ne suffisent pas toujours, monsieur O’Brien ! Il faut encore la chance, et les Mac Carthy n’en ont guère eu jusqu’ici.

— Ce qu’on n’a pas eu, on peut l’avoir, mon garçon ! Crois-tu que, pour ma part, j’aie été sans cesse heureux ?… Non ! j’ai éprouvé bien des vicissitudes, affaires qui ne marchaient pas, revers de fortune… jusqu’au jour où je me suis senti maître de la situation… Toi-même, n’en es-tu pas un exemple ? Est-ce que tu n’as pas commencé par être le jouet de la misère ?… tandis qu’aujourd’hui…

— Vous dites vrai, monsieur O’Brien, et quelquefois je me demande si tout cela n’est pas un rêve…

— Non, mon cher enfant, c’est de la belle et bonne réalité ! Que tu aies dépassé de beaucoup ce qu’on aurait pu attendre d’un enfant, c’est très extraordinaire, car tu entres à peine dans ta douzième année ! Mais la raison ne se mesure pas à l’âge, et c’est elle qui t’a continuellement guidé.

— La raison ?… oui… peut-être ! Et pourtant, lorsque je réfléchis à ma situation actuelle, il me semble que le hasard y est pour quelque chose…