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seconde patrie.

distingué le ciel de l’eau. De ce ciel chargé de nuages bas, lourds, écrasés, déchirés, s’échappait parfois un éclair que suivaient des roulements étouffés, comme si l’espace eût été impropre à reproduire les sons. À ces rares intervalles, l’horizon s’illuminait un instant, toujours désert, toujours lugubre. Nulle lame ne déferlait à la surface de la mer. Rien que le balancement régulier et monotone de la houle avec les rides d’un clapotis qui scintillait alors. Aucun souffle ne passait au-dessus de cette immense plaine océanique, pas même l’haleine chaude des orages. Mais tant de fluide électrique s’était emmagasiné dans l’espace qu’il se déchargeait en lueurs phosphorescentes, accrochant des langues du feu Saint-Elme aux agrès de l’embarcation. Bien que le soleil fût couché depuis quatre ou cinq heures, la chaleur dévorante du jour se maintenait à son maximum d’intensité.

Deux hommes causaient à voix basse, à l’arrière d’une grande chaloupe, pontée jusqu’au pied du mât. Sa misaine et son foc battaient aux monotones secousses du roulis.

L’un de ces hommes, tenant la barre sous son bras, essayait d’éviter les brutales embardées qui se produisaient d’un bord à l’autre. C’était un marin, âgé d’une quarantaine d’années, trapu et vigoureux, corps de fer sur lequel ni la fatigue ni les privations ni surtout le découragement n’avaient jamais eu prise. De na-