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seconde patrie.

oui et non… C’était comme du délire… Il parlait de la terre. « La terre, elle devrait être là ! » répétait-il, et sa main vacillait comme la flamme d’un grand mât, lorsqu’elle tourne à tous les vents. Je lui ai répondu : « Oui, mon capitaine, oui !… La terre est quelque part !… Nous l’accosterons bientôt !… Je la sens… dans le nord ! » Et c’est que c’est vrai… Nous autres, vieux marins, nous sentons ces choses-là… Et j’ai ajouté : « Ne craignez rien, mon capitaine, tout va bien !… Nous avons une solide chaloupe, et je la tiendrai en bonne route !… Il doit y avoir par ici des îles à n’en savoir que faire !… L’embarras du choix !… Nous en trouverons une à notre convenance, – une île habitée qui nous accueillera et d’où nous serons rapatriés !… » Il m’entendait, le pauvre homme, j’en suis sûr, et lorsque j’approchai le fanal de sa figure, il m’a souri… quel sourire triste !… et au bon ange aussi !… Puis, ses yeux se sont refermés, et il n’a pas tardé à s’assoupir !… Quant à moi, j’ai peut-être fait de gros mensonges en lui parlant de la terre comme si elle était à quelques milles de nous !… – Est-ce que j’ai eu tort ?…

– Non, John Block, répondit le plus jeune des passagers, et ce sont des mensonges que Dieu permet… »

L’entretien finit là, le silence ne fut plus troublé que par les battements de la voile contre le mât, lorsque la chaloupe roulait d’un bord sur