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seconde patrie.

l’autre. La plupart de ceux qu’elle portait, écrasés de fatigue, affaiblis par les privations, oubliaient dans un lourd sommeil les menaces de l’avenir.

Et pouvait-on appeler avenir ce qui se réduisait peut-être à quelques jours ? Si ces malheureux avaient de quoi étancher leur soif, ils ne sauraient plus, les jours suivants, comment apaiser leur faim… Des quelques livres de viande salée jetées au fond de la chaloupe au moment de la séparation, il ne restait rien… Ils en étaient réduits à un sac de biscuit de mer, pour onze personnes… Et comment faire, si le calme continuait !… Or, depuis quarante-huit heures, pas un souffle de brise n’avait traversé cette étouffante atmosphère, pas même une de ces risées intermittentes qui ressemblent aux derniers soupirs d’un agonisant !… C’était donc, à bref délai, la mort par la faim.

À cette époque, la navigation à vapeur n’existait pas encore. Il était donc probable que, faute de vent, aucun navire n’apparaîtrait sur ces parages, et, faute de vent, la chaloupe ne pourrait arriver en vue d’une terre quelconque, île ou continent.

Il fallait en vérité avoir une absolue confiance en Dieu pour résister au désespoir, ou posséder cette inaltérable philosophie du bosseman, qui consistait à ne voir les choses que par leur bon côté. Et l’on eût pu l’entendre se répéter à lui-même :