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UN CAPITAINE DE QUINZE ANS

Avant le coucher du soleil, la petite troupe se trouvait à huit milles environ de son point de départ. Ce parcours s’était fait sans incident, et même sans grande fatigue. Il est vrai, c’était la première journée de marche, et, sans doute, les étapes suivantes seraient plus rudes.

D’un commun accord, on décida de faire halte en cet endroit. Il s’agissait donc, non d’établir un véritable campement, mais d’organiser simplement la couchée. Un homme de garde, relevé de deux heures en deux heures, suffirait à veiller pendant la nuit, ni les indigènes, ni les fauves n’étant vraiment à redouter.

On ne trouva rien de mieux, pour abri, qu’un énorme manguier, dont les larges branches, très touffues, formaient une sorte de véranda naturelle. Au besoin, on eût pu nicher dans son feuillage.

Seulement, à l’arrivée de la petite troupe, un assourdissant concert s’éleva de la cime de l’arbre.

Le manguier servait de perchoir à une colonie de perroquets gris, bavards, querelleurs, féroces volatiles qui s’attaquent aux oiseaux vivants, et, à vouloir les juger d’après ceux de leurs congénères que l’Europe tient en cage, on se tromperait singulièrement.

Ces perroquets jacassaient avec un tel bruit, que Dick Sand songea à leur envoyer un coup de fusil, pour les obliger à se taire ou les mettre en fuite. Mais Harris l’en dissuada, sous le prétexte que, dans ces solitudes, mieux valait ne pas déceler sa présence par la détonation d’une arme à feu.

« Passons sans bruit, dit-il, et nous passerons sans danger. »

Le souper fut préparé aussitôt, sans même qu’on eût eu besoin de procéder à la cuisson des aliments. Il se composa de conserves et de biscuit. Un ruisselet, qui serpentait sous les herbes, fournit l’eau potable, qu’on ne but pas sans l’avoir relevée de quelques gouttes de rhum. Quant au dessert, le manguier était là, avec ses fruits succulents, que les perroquets ne laissèrent pas cueillir sans protester par leurs abominables cris.

À la fin du souper, l’obscurité commença à se faire. L’ombre monta lentement du sol à la cime des arbres, dont le feuillage se détacha bientôt comme une fine découpure sur le fond plus lumineux du ciel. Les premières étoiles semblaient être des fleurs éclatantes, qui scintillaient au bout des dernières branches. Le vent tombait avec la nuit et ne frémissait plus dans la ramure. Les perroquets eux-mêmes étaient devenus muets. La nature allait s’endormir et invitait tout être vivant à la suivre dans ce profond sommeil.

Les préparatifs de la couchée devaient être fort rudimentaires.