Page:Verne - Un capitaine de quinze ans, Hetzel, 1878.djvu/173

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
163
CENT MILLES EN DIX JOURS

reconnaissables à leurs deux longs bouquets de poils, et bien d’autres spécimens de cette nombreuse famille.

De ces divers quadrumanes, les plus remarquables incontestablement sont les « guéribas », à queue prenante, à face de Béelzébuth. Lorsque le soleil se lève, le plus vieux de la bande entonne d’une voix imposante et sinistre une psalmodie monotone. C’est le baryton de la troupe. Les jeunes ténors répètent après lui la symphonie matinale. Les Indiens disent alors que les guéribas « récitent leurs patenôtres ».

Mais, ce jour-là, paraît-il, les singes ne firent point leur prière, car on ne les entendit pas, et, cependant, leur voix porte loin, car elle est produite par la rapide vibration d’une sorte de tambour osseux formé d’un renflement de l’os hyoïde de leur cou.

Bref, pour une raison ou pour une autre, ni les guéribas, ni les sagous, ni autres quadrumanes de cette immense forêt n’entonnèrent, ce matin-là, leur concert accoutumé.

Cela n’eût pas satisfait des Indiens nomades. Non que ces indigènes prisent ce genre de musique chorale, mais ils font volontiers la chasse aux singes, et, s’ils la font, c’est que la chair de cet animal, surtout lorsqu’elle est boucanée, est excellente.

Dick Sand et ses compagnons n’étaient pas sans doute au courant de ces habitudes des guéribas, car cela eût été pour eux un sujet de surprise de ne pas les entendre. Ils se réveillèrent donc l’un après l’autre, et bien remis par ces quelques heures de repos, qu’aucune alerte n’était venue troubler.

Le petit Jack ne fut pas le dernier à se détirer les bras. Sa première question fut pour demander si Hercule avait mangé un loup pendant la nuit. Aucun loup ne s’était montré, et, par conséquent, Hercule n’avait point encore déjeuné.

Tous, d’ailleurs, étaient à jeun comme lui, et, après la prière du matin, Nan s’occupa de préparer le repas.

Le menu fut celui du souper de la veille, mais, avec cet appétit qu’aiguisait l’air matinal de la forêt, personne ne songeait à être difficile. Il convenait, avant tout, de prendre des forces pour une bonne journée de marche, et on en prit. Pour la première fois, peut-être, cousin Bénédict comprit que de manger, ce n’était point un acte indifférent ou inutile de la vie. Seulement, il déclara qu’il n’était pas venu « visiter » cette contrée pour s’y promener les mains dans les poches, et que si Hercule l’empêchait encore de chasser aux cocuyos et autres mouches lumineuses, Hercule aurait affaire à lui.

Cette menace ne sembla pas effrayer le géant outre mesure. Toutefois,