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UN CAPITAINE DE QUINZE ANS

gais de naissance, mais parlant l’anglais couramment, il se nommait Negoro, et remplissait les modestes fonctions de cuisinier du brick-goélette.

Le cuisinier du Pilgrim ayant déserté à Auckland, ce Negoro, alors sans emploi, s’était offert pour le remplacer. C’était un homme taciturne, très peu communicatif, qui se tenait à l’écart, mais faisait convenablement son métier. En l’engageant, le capitaine Hull semblait avoir eu la main assez heureuse, et, depuis son embarquement, le maître-coq n’avait mérité aucun reproche.

Cependant, le capitaine Hull regrettait de ne pas avoir eu le temps de se renseigner suffisamment sur son passé. Sa figure, ou plutôt son regard, ne lui allait qu’à moitié, et quand il s’agit de faire entrer un inconnu dans la vie du bord, si restreinte, si intime, on ne devrait rien négliger pour s’assurer de ses antécédents.

Negoro pouvait avoir quarante ans. Maigre, nerveux, de taille moyenne, très brun de poil, un peu basané de peau, il devait être robuste. Avait-il reçu quelque instruction ? Oui, cela se voyait à certaines observations qui lui échappaient quelquefois. D’ailleurs, il ne parlait jamais de son passé, il ne disait mot de sa famille. D’où il venait, où il avait vécu, on ne pouvait le deviner. Quel serait son avenir ? on ne le savait pas davantage. Il annonçait seulement l’intention de débarquer à Valparaiso. C’était certainement un homme singulier. En tout cas, il ne paraissait pas qu’il fût marin. Il semblait même être plus étranger aux choses de la marine que ne l’est un maître-coq, dont une partie de l’existence s’est passée sur mer.

Cependant, quant à être incommodé par le roulis ou le tangage du navire, comme des gens qui n’ont jamais navigué, il ne l’était aucunement, et c’est quelque chose pour un cuisinier de bord.

En somme, on le voyait peu. Pendant le jour, il demeurait le plus ordinairement confiné dans son étroite cuisine, devant le fourneau de fonte qui en occupait la plus grande place. La nuit venue, le fourneau éteint, Negoro regagnait la « cabane » qui lui était réservée au fond du poste de l’équipage. Puis, il se couchait aussitôt et s’endormait.

Il a été dit ci-dessus que l’équipage du Pilgrim se composait de cinq matelots et d’un novice.

Ce jeune novice, âgé de quinze ans, était enfant de père et mère inconnus. Ce pauvre être, abandonné dès sa naissance, avait été recueilli par la charité publique et élevé par elle.

Dick Sand, — ainsi se nommait-il, — devait être originaire de l’État de New-York, et sans doute de la capitale de cet État.