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DICK SAND

Si le nom de Dick, — abréviatif de celui de Richard, — avait été donné au petit orphelin, c’est que ce nom était celui du charitable passant qui l’avait recueilli, deux ou trois heures après sa naissance. Quant au nom de Sand, il lui fut attribué en souvenir de l’endroit où il avait été trouvé, c’est-à-dire sur cette pointe de Sandy-Hook[1], qui forme l’entrée du port de New-York, à l’embouchure de l’Hudson.

Dick Sand, lorsqu’il aurait atteint toute sa croissance, ne devait pas dépasser la taille moyenne, mais il était fortement constitué. On ne pouvait douter qu’il ne fût d’origine anglo-saxonne. Il était brun, cependant, avec des yeux bleus dont le cristallin brillait d’un feu ardent. Son métier de marin l’avait déjà convenablement préparé aux luttes de la vie. Sa physionomie intelligente respirait l’énergie. Ce n’était pas celle d’un audacieux, c’était celle d’un « oseur ». Souvent on cite ces trois mots d’un vers inachevé de Virgile :


Audaces fortuna juvat…


mais on les cite incorrectement. Le poète a dit :


Audentes fortuna juvat…


C’est aux oseurs, non aux audacieux, que sourit presque toujours la fortune. L’audacieux peut être irréfléchi. L’oseur pense d’abord, agit ensuite. Là est la nuance.

Dick Sand était audens. À quinze ans, il savait déjà prendre un parti, et exécuter jusqu’au bout ce qu’avait décidé son esprit résolu. Son air, à la fois vif et sérieux, attirait l’attention. Il ne se dissipait pas en paroles ou en gestes, comme le font ordinairement les garçons de son âge. De bonne heure, à une époque de la vie où on ne discute guère les problèmes de l’existence, il avait envisagé en face sa condition misérable, et il s’était promis de « se faire » lui-même.

Et il s’était fait, — étant déjà presque un homme à l’âge où d’autres ne sont encore que des enfants.

En même temps, très leste, très habile à tous les exercices physiques, Dick Sand était de ces êtres privilégiés, dont on peut dire qu’ils sont nés avec deux pieds gauches et deux mains droites. De cette façon, ils font tout de la bonne main et partent toujours du bon pied.

La charité publique, on l’a dit, avait élevé le petit orphelin. Il avait été mis

  1. « Sand » signifie « sable », en anglais.