Page:Verne - Un capitaine de quinze ans, Hetzel, 1878.djvu/228

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
218
UN CAPITAINE DE QUINZE ANS

heures. Les noirs travaillaient sans relâche. Hercule, après avoir remis le petit Jack entre les bras de Nan, prit sa part de la besogne, et quelle part ! Il poussait des « hans » vigoureux en faisant tournoyer sa hache, et une trouée se faisait devant lui comme s’il eût été un feu dévorant.

Heureusement, ce fatigant travail ne devait pas durer. Ce premier mille franchi, on vit une large trouée, pratiquée à travers le taillis, qui aboutissait obliquement à la rivulette et en suivait la berge. C’était une passée d’éléphants, et ces animaux, par centaines sans doute, avaient l’habitude de redescendre cette partie de la forêt. De grands trous, faits par les pieds des énormes pachydermes, criblaient un sol détrempé à l’époque des pluies et dont la nature spongieuse se prêtait à ces larges empreintes.

Il parut bientôt que cette passée ne servait pas seulement à ces gigantesques animaux. Des êtres humains avaient plus d’une fois pris cette route, mais comme l’auraient suivie des troupeaux brutalement conduits vers l’abattoir. Çà et là, des ossements jonchaient le sol, des restes de squelettes à demi rongés par les fauves, et dont quelques-uns portaient encore les entraves de l’esclave !

Il y a, dans l’Afrique centrale, de longs chemins, ainsi jalonnés par des débris humains. Des centaines de milles sont parcourus par des caravanes, et combien de malheureux tombent en route sous le fouet des agents, tués par la fatigue ou les privations, décimés par la maladie ! Combien encore, massacrés par les traitants eux-mêmes, lorsque les vivres viennent à manquer ! Oui ! quand on ne peut plus les nourrir, on les tue à coups de fusil, à coups de sabres, à coups de couteaux, et ces massacres ne sont pas rares !

Ainsi donc, des caravanes d’esclaves avaient suivi ce chemin. Pendant un mille, Dick Sand et ses compagnons heurtèrent à chaque pas ces ossements épars, mettant en fuite d’énormes engoulevents, qui d’un vol pesant s’enlevaient à leur approche et tournoyaient dans l’air.

Mrs Weldon regardait sans voir. Dick Sand tremblait qu’elle ne vînt à l’interroger, car il conservait l’espoir de la ramener à la côte sans lui dire que la trahison d’Harris les avait égarés dans une province africaine. Heureusement, Mrs Weldon ne s’expliquait pas ce qu’elle avait sous les yeux. Elle avait voulu reprendre son enfant, et le petit Jack, endormi, absorbait toute sa pensée. Nan marchait près d’elle, et ni l’une ni l’autre ne firent au jeune novice les terribles questions qu’il redoutait. Le vieux Tom, lui, allait les yeux baissés. Il ne comprenait que trop pourquoi cette trouée était bordée d’ossements humains.