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DICK SAND

une terre généreuse. Sous la sève de son sang, le cœur de l’orphelin se gonflait de reconnaissance, et, s’il fallait donner un jour sa vie pour ceux qui lui avaient appris à s’instruire et à aimer Dieu, le jeune novice n’hésiterait pas à le faire. En somme, n’avoir que quinze ans, mais agir et penser comme à trente, c’était tout Dick Sand.

Mrs Weldon savait ce que valait son protégé. Elle pouvait sans aucune inquiétude lui confier le petit Jack. Dick Sand chérissait cet enfant, qui, se sentant aimé de ce « grand frère », le recherchait. Pendant ces longues heures de loisir qui sont fréquentes dans une traversée, lorsque la mer est belle, quand les voiles bien établies n’exigent aucune manœuvre, Dick et Jack étaient presque toujours ensemble. Le jeune novice montrait au petit garçon tout ce qui, dans son métier, pouvait lui paraître amusant. C’était sans crainte que Mrs Weldon voyait Jack, en compagnie de Dick Sand, s’élancer sur les haubans, grimper à la hune du mât de misaine ou aux barres du mât de perroquet, et redescendre comme une flèche le long des galhaubans. Dick Sand le précédait ou le suivait toujours, prêt à le soutenir et à le retenir, si ses bras de cinq ans faiblissaient pendant ces exercices. Tout cela profitait au petit Jack, que la maladie avait pâli quelque peu ; mais les couleurs lui revenaient vite à bord du Pilgrim, grâce à cette gymnastique quotidienne et aux fortifiantes brises de la mer.

Les choses allaient donc ainsi. La traversée s’accomplissait dans ces conditions, et, n’eût été le temps peu favorable, ni les passagers, ni l’équipage du Pilgrim n’auraient eu à se plaindre.

Cependant, cette persistance des vents d’est ne laissait pas de préoccuper le capitaine Hull. Il ne parvenait pas à mettre le navire en bonne route. Plus tard, près du tropique du Capricorne, il craignait de trouver des calmes qui le contrarieraient encore, sans parler du courant équatorial, qui le rejetterait irrésistiblement dans l’ouest. Il s’inquiétait donc, pour Mrs Weldon surtout, de retards dont il n’était cependant pas responsable. Aussi, s’il rencontrait sur sa route quelque transatlantique faisant route vers l’Amérique, pensait-il déjà conseiller à sa passagère de s’y embarquer. Malheureusement, il était retenu dans des latitudes trop élevées pour croiser un steamer courant vers Panama, et, à cette époque, d’ailleurs, les communications à travers le Pacifique entre l’Australie et le Nouveau-Monde n’étaient pas aussi fréquentes qu’elles le sont devenues depuis.

Il fallait donc laisser aller les choses à la grâce de Dieu, et il semblait que rien ne dût troubler cette traversée monotone, lorsqu’un premier incident se produi-