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UN CAPITAINE DE QUINZE ANS

Cameron devait traverser quelques années plus tard, avant d’atteindre Benguela. La Coanza est destinée à devenir le véhicule du transit intérieur de cette portion de la colonie portugaise. Déjà des steamers remontent son bas cours, et dix ans ne s’écouleront pas sans qu’ils desservent son lit supérieur. Dick Sand avait donc sagement agi en cherchant vers le nord quelque rivière navigable. La rivulette qu’il avait suivie venait se jeter dans la Coanza même. N’eût été cette attaque soudaine, contre laquelle rien n’avait pu le mettre en garde, il l’aurait trouvée un mille plus loin ; ses compagnons et lui se seraient embarqués sur un radeau facile à construire, et ils auraient eu grande chance de descendre la Coanza jusqu’aux bourgades portugaises où les steamers font escale. Là, leur salut eût été assuré.

Il ne devait pas en être ainsi.

Le campement, aperçu par Dick Sand, était établi sur une hauteur voisine de cette fourmilière, dans laquelle la fatalité l’avait jeté comme dans un piège. Au sommet de cette hauteur se dressait un énorme figuier sycomore, qui eût aisément abrité cinq cents hommes sous son immense ramure. Qui n’a pas vu ces arbres géants de l’Afrique centrale ne saurait s’en faire une idée. Leurs branches forment une forêt, et l’on pourrait s’y perdre. Plus loin de gros banians, de ceux dont les graines ne se transforment pas en fruits, complétaient le cadre de ce vaste paysage.

C’était sous l’abri du sycomore que, cachée comme en un mystérieux asile, toute une caravane, — celle dont Harris avait annoncé l’arrivée à Negoro, — venait de faire halte. Ce nombreux convoi d’indigènes, arrachés à leurs villages par les agents du traitant Alvez, se dirigeait vers le marché de Kazonndé. De là, les esclaves, suivant les besoins, seraient envoyés ou dans les baracons du littoral ouest, ou à N’yangwé, vers la région des grands lacs, pour être distribués soit vers la Haute-Égypte, soit vers les factoreries de Zanzibar.

Aussitôt leur arrivée au campement, Dick Sand et ses compagnons avaient été traités en esclaves. Au vieux Tom, à son fils, à Austin, à Actéon, à la pauvre Nan, nègres d’origine, bien qu’ils n’appartinssent pas à la race africaine, on réserva le traitement des captifs indigènes. Après qu’ils eurent été désarmés, malgré la plus vive résistance, ils furent maintenus à la gorge, deux par deux, au moyen d’une perche longue de six à sept pieds, bifurquée à chaque bout et fermée par une tige de fer. De cette façon, ils étaient forcés de marcher en ligne, l’un derrière l’autre, sans pouvoir s’écarter ni à droite, ni à gauche. Par surcroît de précaution, une lourde chaîne les rattachait par la ceinture. Ils avaient donc les