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UN CAMPEMENT SUR LES BORDS DE LA COANZA

bras libres pour porter des fardeaux, les pieds libres pour marcher, mais ils n’auraient pu en faire usage pour fuir. C’est ainsi qu’ils allaient franchir des centaines de milles, sous les coups de fouet d’un havildar ! Étendus à l’écart, accablés par la réaction qui avait suivi les premiers instants de leur lutte contre les nègres, ils ne faisaient plus un mouvement ! Que n’avaient-ils pu suivre Hercule dans sa fuite ! Et pourtant, que pouvait-on espérer pour le fugitif ? Tout vigoureux qu’il était, que deviendrait-il, dans cette inhospitalière contrée, où la faim, l’isolement, les bêtes fauves, les indigènes, tout était contre lui ? N’en viendrait-il pas bientôt à regretter le sort de ses compagnons ? Et ceux-ci, cependant, n’avaient aucune pitié à attendre de la part des chefs de la caravane, Arabes ou Portugais, parlant une langue qu’ils ne pouvaient comprendre, et qui n’entraient en communication avec eux que par des regards et des gestes menaçants.

Dick Sand, lui, n’était pas accouplé à quelque autre esclave. C’était un blanc, et on n’avait pas osé sans doute lui infliger le traitement commun. Désarmé, il avait les pieds et les mains libres, mais un havildar le surveillait spécialement. Il observait le campement, et à chaque instant, il s’attendait à voir paraître Negoro ou Harris… Son attente fut trompée. Nul doute pour lui, cependant, que ces deux misérables n’eussent dirigé l’attaque contre la fourmilière.

Aussi la pensée lui était-elle venue que Mrs Weldon, le petit Jack et le cousin Bénédict avaient été entraînés séparément par les ordres de l’Américain ou du Portugais ; ne les voyant ni l’un ni l’autre, il se disait que les deux complices accompagnaient peut-être bien leurs victimes. Où les conduisait-on ? Qu’en voulait-on faire ? c’était son plus cruel souci. Dick Sand oubliait sa propre situation, pour ne songer qu’à Mrs Weldon et aux siens.

La caravane, campée sous le gigantesque sycomore, ne comptait pas moins de huit cents personnes, soit cinq cents esclaves des deux sexes, deux cents soldats, porteurs ou maraudeurs, des gardiens, des havildars, des agents ou des chefs.

Ces chefs étaient d’origine arabe et portugaise. On imaginerait difficilement les cruautés que ces êtres inhumains exercent sur leurs captifs. Ils les frappent sans relâche, et ceux d’entre eux qui tombent épuisés, hors d’état d’être vendus, sont achevés à coups de fusil ou de couteau. On les tient ainsi par la terreur ; mais le résultat de ce système, c’est qu’à l’arrivée de la caravane, cinquante pour cent des esclaves manquent au compte du traitant, soit que quelques-uns aient pu s’échapper, soit que les ossements de ceux qui sont morts à la peine jalonnent les longues routes de l’intérieur à la côte.