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UN PUNCH OFFERT AU ROI DE KAZONNDÉ

— C’est ici qu’il doit mourir ! ajouta Alvez.

— Où tu voudras, Alvez, répondit Moini Loungga. Mais goutte d’eau de feu pour goutte de sang !

— Oui, répondit le traitant, de l’eau de feu, et tu verras aujourd’hui qu’elle mérite bien ce nom ! Nous la ferons flamber, cette eau ! José-Antonio Alvez offrira un punch au roi Moini Loungga !… »

L’ivrogne frappa dans les mains de son ami Alvez. Il ne se tenait pas de joie. Ses femmes, ses courtisans partageaient son délire. Ils n’avaient jamais vu flamber l’eau-de-vie, et, sans doute, ils comptaient la boire toute flambante. Puis, avec la soif de l’alcool, la soif du sang, si impérieuse chez ces sauvages, serait satisfaite aussi.

Pauvre Dick Sand ! quel horrible supplice l’attendait ! Quand on pense aux effets terribles ou grotesques de l’ivresse dans les pays civilisés, on comprend jusqu’où elle peut pousser des êtres barbares.

On croira volontiers que la pensée de torturer un blanc ne pouvait déplaire ni à aucun des indigènes, ni à Antonio-José Alvez, nègre comme eux, ni à Coïmbra, métis de sang noir, ni à Negoro enfin, animé d’une haine farouche contre les gens de sa couleur.

Le soir était venu, un soir sans crépuscule, qui allait faire presque immédiatement succéder le jour à la nuit, heure propice au flamboiement de l’alcool.

C’était une triomphante idée, vraiment, qu’avait eue Alvez d’offrir un punch à cette Majesté nègre, et de lui faire aimer l’eau-de-vie sous une forme nouvelle. Moini Loungga commençait à trouver que l’eau de feu ne justifiait pas suffisamment son nom. Peut-être, flambante et brûlante, chatouillerait-elle plus agréablement les papilles insensibilisées de sa langue !

Le programme de la soirée comprenait donc un punch d’abord, un supplice ensuite.

Dick Sand, étroitement enfermé dans son obscure prison, n’en devait sortir que pour aller à la mort. Les autres esclaves, vendus ou non, avaient été réintégrés dans les baracons. Il ne restait plus sur la tchitoka que les traitants, les havildars, les soldats prêts à prendre leur part du punch, si le roi et sa cour leur en laissaient.

José-Antonio Alvez, conseillé par Negoro, fit bien les choses. On apporta une vaste bassine de cuivre pouvant contenir au moins deux cents pintes, et qui fut placée au milieu de la grande place. Des barils renfermant un alcool de qualité inférieure, mais très rectifié, furent versés dans la bassine. On n’épargna ni la