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UN CAPITAINE DE QUINZE ANS

la patte de Dingo. Mais, s’il avait un billet, ce billet ne pouvait être attaché qu’à son cou. Comment faire ? Était-il possible d’agrandir assez ce trou pour que Dingo pût y passer la tête ? En tout cas, il fallait l’essayer.

Mais à peine Dick Sand avait-il commencé à creuser le sol avec ses ongles, que des aboiements qui n’étaient pas ceux de Dingo retentissaient sur la place. Le fidèle animal venait d’être dépisté par les chiens indigènes, et il n’eut plus sans doute qu’à prendre la fuite. Quelques détonations éclatèrent. L’havildar se réveilla à moitié. Dick Sand, ne pouvant plus songer à s’évader, puisque l’éveil était donné, dut alors se rouler de nouveau dans son coin, et, après une mortelle attente, il vit reparaître ce jour qui devait être sans lendemain pour lui !

Pendant toute cette journée, les travaux des fossoyeurs furent poussés avec activité. Un grand nombre d’indigènes y prirent part, sous la direction du premier ministre de la reine Moina. Tout devait être prêt à l’heure dite, sous peine de mutilation, car la nouvelle souveraine promettait de suivre de point en point les errements du défunt roi.

Les eaux du ruisseau ayant été détournées, ce fut dans le lit mis à sec que la vaste fosse se creusa à une profondeur de dix pieds, sur cinquante de long et dix de large.

Vers la fin du jour, on commença à la tapisser, au fond et le long des parois, de femmes vivantes, choisies parmi les esclaves de Moini Loungga. D’ordinaire, ces malheureuses sont enterrées toutes vives. Mais, à propos de cette étrange et peut-être miraculeuse mort de Moini Loungga, il avait été décidé qu’elles seraient noyées près du corps de leur maître[1].

La coutume est aussi que le roi défunt soit revêtu de ses plus riches habits, avant d’être couché dans sa tombe. Mais cette fois, puisqu’il ne restait que quelques os calcinés de la personne royale, il fallut procéder autrement. Un mannequin d’osier fut fabriqué, qui représentait suffisamment, peut-être avantageusement, Moini Loungga, et on y enferma les débris que la combustion avait épargnés. Le mannequin fut revêtu alors des vêtements royaux, — on sait que cette défroque ne valait pas cher, — et on n’oublia pas de l’orner des fameuses lunettes du cousin Bénédict. Il y avait dans cette mascarade quelque chose d’un comique terrible.

La cérémonie devait se faire aux flambeaux, et avec grand apparat. Toute la population de Kazonndé, indigène ou non, y devait assister.

  1. On ne se figure pas ce que sont ces horribles hécatombes, lorsqu’il s’agit d’honorer dignement la mémoire d’un puissant chef chez ces tribus du centre de l’Afrique. Cameron dit que plus de cent victimes furent ainsi sacrifiées aux funérailles du père du roi de Kassonngo.