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UN MGANNGA

petites idoles en bois et autres fétiches, plus une notable quantité de boules de fiente, accessoire important des incantations et pratiques divinatoires du centre de l’Afrique.

Une particularité qui fut bientôt reconnue de la foule, c’est que ce mgannga était muet ; mais cette infirmité ne pouvait qu’accroître la considération dont on se disposait à l’entourer. Il ne faisait entendre qu’un son guttural, bas et traînant, qui n’avait aucune signification. Raison de plus pour être bien compris en matière de sortilège.

Le mgannga fit d’abord le tour de la grande place, exécutant une sorte de pavane qui mettait en branle tout son carillon de sonnettes. La foule le suivait en imitant ses mouvements. On eût dit une troupe de singes suivant un gigantesque quadrumane. Puis, soudain, le sorcier, enfilant la rue principale de Kazonndé, se dirigea vers la résidence royale.

Dès que la reine Moina eut été prévenue de l’arrivée du nouveau devin, elle parut, suivie de ses courtisans.

Le mgannga s’inclina jusque dans la poussière et releva la tête en déployant sa taille superbe. Ses bras s’étendirent alors vers le ciel, que sillonnaient rapidement des lambeaux de nuages. Ces nuages, le sorcier les désigna de la main ; il imita leurs mouvements dans une pantomime animée ; il les montra fuyant dans l’ouest, mais revenant à l’est par un mouvement de rotation qu’aucune puissance ne pouvait enrayer.

Puis, soudain, à la grande surprise de la ville et de la cour, ce sorcier prit par la main la redoutable souveraine de Kazonndé. Quelques courtisans voulurent s’opposer à cet acte contraire à toute étiquette ; mais le vigoureux mgannga, saisissant le plus rapproché par la peau du cou, l’envoya rouler à quinze pas.

La reine ne parut point désapprouver cette fière façon d’agir. Une sorte de grimace, qui devait être un sourire, fut adressée au devin, lequel entraîna la reine d’un pas rapide, pendant que la foule se précipitait sur ses traces.

Cette fois, ce fut vers l’établissement d’Alvez que se dirigea le sorcier. Il en atteignit bientôt la porte, qui était fermée. Un simple coup de son épaule la jeta par terre, et il fit entrer la reine subjuguée dans l’intérieur de la factorerie.

Le traitant, ses soldats, ses esclaves étaient accourus pour châtier l’impudent qui se permettait de jeter bas les portes sans attendre qu’on les lui ouvrît. Toutefois, à la vue de la souveraine, qui ne protestait pas, ils s’arrêtèrent dans une attitude respectueuse.