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À LA DÉRIVE

flottants[1] qui dérivent en grand nombre à la surface des fleuves africains.

Mais Hercule, en rôdant pendant la nuit sur la berge, avait eu la chance de trouver une embarcation qui s’en allait en dérive. Dick Sand n’aurait pu en souhaiter une meilleure, et le hasard l’avait bien servi. En effet, ce n’était point une de ces étroites barques dont les indigènes font le plus ordinairement usage. La pirogue, trouvée par Hercule, était de celles dont la longueur dépasse trente pieds, la largeur quatre, et que de nombreux pagayeurs enlèvent rapidement sur les eaux des grands lacs. Mrs Weldon et ses compagnons pourraient donc s’y installer à l’aise, et il suffirait de la maintenir dans le fil de l’eau au moyen d’une godille pour descendre le courant du fleuve.

Tout d’abord, Dick Sand, voulant passer sans être vu, avait formé le projet de ne voyager que la nuit. Mais, à ne dériver que douze heures sur vingt-quatre, c’était doubler la durée d’un trajet qui pouvait être long. Très heureusement, Dick Sand eut l’idée de faire recouvrir la pirogue d’un dôme de longues herbes que soutenait une perche, élongée de l’avant à l’arrière, et qui, pendant sur les eaux, cachaient même la longue godille. On eût dit un amas herbeux qui dérivait au fil de l’eau, au milieu des îlots mouvants. Telle était même l’ingénieuse disposition de ce chaume que les oiseaux s’y méprenaient, et, voyant là des graines à picorer, mouettes à becs rouges, « arrhinngas » noirs de plumage, alcyons gris et blancs, venaient s’y poser fréquemment.

En outre, ce toit verdoyant formait un abri contre les ardeurs du soleil. Un voyage exécuté dans ces conditions pouvait donc s’accomplir à peu près sans fatigue, mais non sans danger.

En effet, le trajet devait être long, et il serait nécessaire de se procurer la nourriture de chaque jour. De là, nécessité de chasser sur les rives, si la pêche ne suffisait pas, et Dick Sand n’avait pour toute arme à feu que le fusil emporté par Hercule, après l’attaque de la fourmilière. Mais il comptait bien ne pas perdre un seul de ses coups. Peut-être même, en passant son fusil à travers le chaume de l’embarcation, pourrait-il tirer plus sûrement, comme un huttier à travers les trous de sa hutte.

Cependant la pirogue dérivait sous l’action d’un courant que Dick Sand n’estimait pas à moins de deux milles à l’heure. Il espérait donc faire une cinquantaine de milles entre deux levers de soleil. Mais, en raison même de la rapidité de ce courant, il fallait une surveillance continuelle pour éviter les obstacles,

  1. Cameron parle souvent de ces îlots flottants.