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UN CAPITAINE DE QUINZE ANS

des petits « dagalas », amis des eaux courantes, appartenant au genre clupe, et qui rappellent les « whitebaits » de la Tamise.

Dans la journée du 9 juillet, Dick Sand eut à faire preuve d’un extrême sang-froid. Il était seul à terre, à l’affût d’un caama dont les cornes se montraient au-dessus d’un taillis, et il venait de le tirer, lorsque bondit, à trente pas, un formidable chasseur, qui sans doute venait réclamer sa proie et n’était pas d’humeur à l’abandonner.

C’était un lion de grande taille, de ceux que les indigènes appellent « karamos », et non de cette espèce sans crinière, dite « lion du Nyassi ». Celui-là mesurait cinq pieds de haut, — une bête formidable.

Du bond qu’il avait fait, le lion était tombé sur le caama que la balle de Dick Sand venait de jeter à terre, et qui, plein de vie encore, palpitait en criant sous la patte du terrible animal.

Dick Sand, désarmé, n’avait pas eu le temps de glisser une seconde cartouche dans son fusil.

Du premier coup, le lion l’avait aperçu, mais il se contenta d’abord de le regarder.

Dick Sand fut assez maître de lui pour ne pas faire un mouvement. Il se souvint qu’en pareille circonstance l’immobilité peut être le salut. Il ne tenta pas de recharger son arme, il n’essaya même pas de fuir.

Le lion le regardait toujours de ses yeux de chat, rouges et lumineux. Il hésitait entre deux proies, celle qui remuait et celle qui ne remuait pas. Si le caama ne se fût pas tordu sous la griffe du lion, Dick Sand eût été perdu.

Deux minutes s’écoulèrent ainsi. Le lion regardait Dick Sand, et Dick Sand regardait le lion, sans même remuer ses paupières.

Et alors, d’un superbe coup de gueule, le lion, enlevant le caama tout pantelant, l’emporta comme un chien eût fait d’un lièvre, et, battant les arbustes de sa formidable queue, il disparut dans le haut taillis.

Dick Sand demeura immobile quelques instants encore, puis quitta la place, et ayant rejoint ses compagnons, il ne leur dit rien du danger auquel son sang-froid lui avait permis d’échapper. Mais si, au lieu de dériver à ce rapide courant, les fugitifs avaient dû passer à travers les plaines et les forêts fréquentées par de semblables fauves, peut-être, à l’heure qu’il est, ne compterait-on plus un seul des naufragés du Pilgrim.

Cependant, si le pays était inhabité alors, il ne l’avait pas toujours été. Plus d’une fois, sur certaines dépressions du terrain, on aurait pu retrouver des tra-