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UN CAPITAINE DE QUINZE ANS

Negoro rentra aussitôt dans le poste de l’équipage, non sans qu’un geste de menace à l’adresse du chien lui eût échappé.

« Il y a là quelque mystère ! murmura le capitaine Hull, qui n’avait rien perdu de cette petite scène.

— Mais, monsieur, dit le novice, n’est-il pas très étonnant qu’un chien puisse reconnaître des lettres de l’alphabet ?

— Eh non ! s’écria le petit Jack. Maman m’a souvent raconté l’histoire d’un chien qui savait lire et écrire et même jouer aux dominos, comme un vrai maître d’école !

— Mon cher enfant, répondit Mrs Weldon en souriant, ce chien, qui s’appelait Munito, n’était point un savant comme tu le penses. Si j’en crois ce qui m’a été raconté, il n’aurait pu distinguer l’une de l’autre les lettres qui lui servaient à composer ses mots. Mais son maître, un adroit Américain, ayant remarqué combien Munito avait l’ouïe fine, s’était appliqué à exercer ce sens et à en tirer des effets fort curieux.

— Comment s’y prenait-il, mistress Weldon ? demanda Dick Sand, que l’histoire intéressait presque autant que le petit Jack.

— Voici, mon ami. Lorsque Munito devait « travailler » devant le public, des lettres semblables à celles-ci étaient étalées sur une table. Sur cette table, le caniche allait et venait, attendant qu’un mot fût proposé, soit à voix haute, soit à voix basse. Seulement, une condition essentielle, c’était que son maître connût le mot.

— Ainsi, en l’absence de son maître ?… dit le novice.

— Le chien n’aurait rien pu faire, répondit Mrs Weldon, et voici pourquoi. Les lettres étalées sur la table, Munito se promenait à travers cet alphabet. Arrivait-il devant celle des lettres qu’il devait choisir pour former le mot demandé, il s’arrêtait ; mais, s’il s’arrêtait, c’est parce qu’il entendait le bruit, imperceptible à tout autre, d’un cure-dent que l’Américain faisait claquer dans sa poche. Ce bruit, c’était pour Munito le signal de prendre la lettre et de venir la ranger dans l’ordre convenu.

— Et voilà tout le secret ! s’écria Dick Sand.

— Voilà tout le secret, répondit Mrs Weldon. C’est très simple, comme tout ce qui se fait en matière de prestidigitation. En l’absence de l’Américain, Munito n’aurait plus été Munito. Je suis donc étonnée, son maître n’étant pas là, — si toutefois le voyageur Samuel Vernon a jamais été son maître, — que Dingo ait pu reconnaître ces deux lettres.

— En effet, répondit le capitaine Hull, c’est fort étonnant. Mais, remarquez-le