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UN CAPITAINE DE QUINZE ANS

sait interroger les mystères de l’Océan, ces esprits qui s’élèvent de sa mouvante surface jusque dans les hauteurs du ciel.

La vie, d’ailleurs, se manifeste toujours au-dessus comme au-dessous des mers. Les passagers du Pilgrim pouvaient voir s’acharner à la poursuite des plus petits poissons des bandes d’oiseaux, de ceux qui fuient avant l’hiver le dur climat des pôles. Et plus d’une fois, Dick Sand, élève sur ce point comme sur d’autres de James W. Weldon, donna des preuves de sa merveilleuse adresse au fusil ou au pistolet, en abattant quelques-uns de ces rapides volatiles.

C’étaient, ici, des pétrels blancs, là, d’autres pétrels dont les ailes étaient bordées d’un liseré brun. Quelquefois, aussi, passaient des troupes de damiers ou quelques-uns de ces pingouins dont la démarche à terre est à la fois si pesante et si ridicule. Cependant, ainsi que le faisait remarquer le capitaine Hull, ces pingouins, se servant de leurs moignons comme de véritables nageoires, peuvent défier à la nage les poissons les plus rapides, à tel point même que des marins les ont quelquefois confondus avec les bonites.

Plus haut, de gigantesques albatros frappaient l’air à grands coups d’ailes, en déployant une envergure de dix pieds, et venaient ensuite se poser à la surface des eaux, qu’ils fouillaient à coups de bec pour y chercher leur nourriture.

Toutes ces scènes constituaient un spectacle varié, que, seuls, des esprits fermés au charme de la nature eussent trouvé monotone.

Ce jour-là, Mrs Weldon se promenait à l’arrière du Pilgrim, lorsqu’un phénomène assez curieux provoqua son attention. Les eaux de la mer étaient devenues rougeâtres presque subitement. On eût pu croire qu’elles venaient de se teindre de sang, et cette teinte inexplicable s’étendait aussi loin que pouvait se porter le regard.

Dick Sand se trouvait alors avec le petit Jack près de Mrs Weldon.

« Vois-tu, Dick, dit-elle au jeune novice, cette singulière couleur des eaux du Pacifique ? Est-ce qu’elle est due à la présence d’une herbe marine ?

— Non, mistress Weldon, répondit Dick Sand, cette teinte est produite par des myriades de myriades de petits crustacés, qui servent habituellement à nourrir les grands mammifères. Les pêcheurs appellent cela, non sans raison, du « manger de baleine ».

— Des crustacés ! dit Mrs Weldon. Mais ils sont si petits qu’on pourrait presque les appeler des insectes de mer. Cousin Bénédict serait peut-être fort enchanté d’en faire collection ! »

Et appelant :