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LA JUBARTE

C’était aussi la pensée du maître d’équipage, qui cherchait à voir le flanc opposé de l’animal.

Mais ce n’était plus l’instant de réfléchir, c’était celui d’attaquer.

Le capitaine Hull, tenant son harpon par le milieu de la tige, le balança plusieurs fois, afin de mieux assurer la justesse de son coup, pendant qu’il visait le flanc de la jubarte. Puis, il le projeta de toute la vigueur de son bras.

« Arrière, arrière ! » cria-t-il aussitôt.

Et les matelots, sciant avec ensemble, firent rapidement reculer la baleinière, dans l’intention de la mettre prudemment à l’abri des coups de queue du cétacé.

Mais, en ce moment, un cri du maître d’équipage fit comprendre pourquoi la baleine était depuis si longtemps et si extraordinairement immobile à la surface de la mer.

« Un baleineau ! » dit-il.

En effet, la jubarte, après avoir été frappée du harpon, s’était presque entièrement chavirée sur le flanc, découvrant ainsi un baleineau qu’elle était en train d’allaiter.

Cette circonstance, le capitaine Hull le savait bien, devait rendre beaucoup plus difficile la capture de la jubarte. La mère allait évidemment se défendre avec plus de fureur, tant pour elle-même que pour protéger son « petit », — si toutefois on peut appliquer cette épithète à un animal qui ne mesurait pas moins de vingt pieds.

Cependant, ainsi qu’on eût pu le craindre, la jubarte ne se précipita pas immédiatement sur l’embarcation, et il n’y eut pas lieu, afin de prendre la fuite, de couper brusquement la ligne qui la rattachait au harpon. Au contraire, et comme cela arrive la plupart du temps, la baleine, suivie du baleineau, plongea par une ligne très oblique d’abord ; puis, se relevant d’un bond énorme, elle commença à filer entre deux eaux avec une extrême rapidité.

Mais, avant qu’elle eût fait son premier plongeon, le capitaine Hull et le maître d’équipage, debout tous les deux, avaient eu le temps de la voir, et, par conséquent, de l’estimer à sa juste valeur.

Cette jubarte était, en réalité, un baleinoptère de la plus grande dimension. De la tête à la queue, elle mesurait au moins quatre-vingts pieds. Sa peau, d’un brun jaunâtre, était comme ocellée de nombreuses taches d’un brun plus foncé.

C’eût été vraiment dommage, après une attaque heureuse à son début, d’être dans la nécessité d’abandonner une si riche proie.