trois ou quatre verstes. Aucun d’eux ne devait passer la nuit à la Croix-Rompue. Rarement, d’ailleurs, des voyageurs s’arrêtaient pour y coucher. Mais les postillons et conducteurs de télègues ou de malles-poste faisaient volontiers halte au kabak avant d’achever la dernière étape de Pernau.
Au milieu de ces hôtes habituels, deux individus, assis ce soir-là à l’écart, s’entretenaient à voix basse, dévisageant les buveurs. C’étaient le brigadier de police Eck et l’un de ses agents. Après la poursuite le long de la Pernova, continuant leurs recherches à travers cette région où l’on signalait la présence de quelques malfaiteurs, ils étaient restés en communication avec les diverses escouades chargées de surveiller les villages et les hameaux au nord de la province.
Eck ne revenait point satisfait de sa dernière expédition. De ce fugitif qu’il comptait prendre vivant et ramener au major Verder, on n’avait même pas retrouvé le corps dans la débâcle de la Pernova.
C’était une déception d’amour-propre.
Et le brigadier disait à son compagnon :
« Sans doute, il y a tout lieu de croire que ce coquin s’est noyé…
— C’est sûr, répondit l’agent.
— Eh non, ce n’est pas sûr, ou, du moins, on n’en a pas la preuve matérielle !… D’ailleurs, quand bien même nous aurions repêché l’homme mort, ce n’est pas dans cet état qu’on aurait pu le réexpédier en Sibérie !… Non ! C’est vivant qu’il aurait fallu l’arrêter, et ce n’est point là une affaire qui fasse honneur à la police !
— Nous serons plus heureux une autre fois, monsieur Eck », répondit l’agent qui acceptait très philosophiquement les aléas du métier.
Le brigadier secoua la tête, sans chercher à cacher son dépit.