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le kabak de la « croix-rompue ».

À cette heure, la bourrasque se déchaînait avec une incomparable violence. La porte d’entrée s’agitait sur ses gonds à les arracher de leur scellement. Le gros poêle, comme étouffé, cessait de ronfler par instants, puis repartait avec une activité de fournaise.

On entendait craquer les arbres de la sapinière, dont les branches brisées volaient jusqu’à la toiture du kabak, au risque de la défoncer.

« Voilà de l’ouvrage tout fait pour les bûcherons !… dit un des paysans. Ils n’auront que la peine de ramasser leur charge…

— Et c’est aussi un fameux temps pour les malfaiteurs et contrebandiers !… ajouta l’agent.

— Oui… fameux,… répondit Eck, mais ce n’est pas une raison pour les laisser faire !… Il est certain qu’une bande court le pays… On a signalé un vol à Tarvart, et une tentative de meurtre à Karkus !… De vrai, la route n’est plus sûre entre Riga et Pernau… Les crimes se multiplient, et les criminels s’échappent la plupart du temps… Après tout, que risquent-ils, s’ils se laissent attraper ?… D’aller tirer du sel en Sibérie !… Voilà ce qui ne les inquiète guère… Autrefois, une bonne danse au bout du gibet, cela donnait à réfléchir !… Mais les potences, elles sont rompues comme la croix du kabak de maître Kroff…

— On y reviendra, affirma l’agent.

— Et il ne sera pas trop tôt », répliqua Eck.

Comment un brigadier de police aurait-il pu admettre que la peine de mort, maintenue en matière politique, eût été abolie pour les crimes de droit commun ? Cela était au-dessus de son entendement, et de l’entendement de nombre de bons esprits qui n’appartiennent pas à la police.

« Allons, en route, dit Eck, qui se disposait à partir. J’ai rendez-vous avec le brigadier de la cinquième escouade, à Pernau, et il n’y a pas de temps qui tienne ! »