Page:Verne - Vingt mille lieues sous les mers.djvu/41

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à peu. Les officiers, armes de leur lorgnette de nuit, fouillaient l’obscurité croissante. Parfois le sombre Océan étincelait sous un rayon que la lune dardait entre la frange de deux nuages. Puis, toute trace lumineuse s’évanouissait dans les ténèbres.

En observant Conseil, je constatai que ce brave garçon subissait tant soit peu l’influence générale. Du moins, je le crus ainsi. Peut-être, et pour la première fois, ses nerfs vibraient-ils sous l’action d’un sentiment de curiosité.

« Allons, Conseil, lui dis-je, voilà une dernière occasion d’empocher deux mille dollars.

— Que monsieur me permette de le lui dire, répondit Conseil, je n’ai jamais compté sur cette prime, et le gouvernement de l’Union pouvait promettre cent mille dollars, il n’en aurait pas été plus pauvre.

— Tu as raison, Conseil. C’est une sotte affaire, après tout, et dans laquelle nous nous sommes lancés trop légèrement. Que de temps perdu, que d’émotions inutiles ! Depuis six mois déjà, nous serions rentrés en France…

— Dans le petit appartement de monsieur, répliqua Conseil, dans le Muséum de monsieur ! Et j’aurais déjà classé les fossiles de monsieur ! Et le babiroussa de monsieur serait installé dans sa cage du Jardin des Plantes, et il attirerait tous les curieux de la capitale !

— Comme tu dis, Conseil, et sans compter, j’imagine, que l’on se moquera de nous !

— Effectivement, répondit tranquillement Conseil, je pense que l’on se moquera de monsieur. Et, faut-il le dire…?

— Il faut le dire, Conseil.

— Eh bien, monsieur n’aura que ce qu’il mérite !

— Vraiment !

— Quand on a l’honneur d’être un savant comme monsieur, on ne s’expose pas… »

Conseil ne put achever son compliment. Au milieu du silence général, une voix venait de se faire entendre. C’était la voix de Ned Land, et Ned Land s’écriait :

« Ohé ! la chose en question, sous le vent, par le travers à nous ! »