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AVENTURES DU CAPITAINE HATTERAS

profita pour aller hiverner avec le Pionnier et l’Assistance jusqu’auprès du soixante-dix-septième degré. Ce fut de 1852 à 1853, pendant son premier hivernage, car, l’année suivante, il passa l’hiver de 1853 à 1854 à cette baie Baring où le Forward mouillait en ce moment.

Ce fut même à la suite des épreuves et des dangers les plus effrayants qu’il dut abandonner son navire l’Assistance au milieu de ces glaces éternelles.

Shandon se fit aussi le narrateur de cette catastrophe devant les matelots démoralisés. Hatteras connut-il ou non cette trahison de son premier officier ? Il est impossible de le dire ; en tout cas, il se tut à cet égard.

À la hauteur de la baie Baring se trouve un étroit chenal qui fait communiquer le canal Wellington avec le canal de la Reine. Là, les trains de glace se trouvèrent fort pressés. Hatteras fit de vains efforts pour franchir les passes du nord de l’île Hamilton ; le vent s’y opposait ; il fallait donc se glisser entre l’île Hamilton et l’île Cornwallis ; on perdit là cinq jours précieux en efforts inutiles. La température tendait à s’abaisser, et tomba même, le 19 juillet, à vingt-six degrés (−4° centig.) ; elle se releva le jour suivant ; mais cette menace anticipée de l’hiver arctique devait engager Hatteras à ne pas attendre davantage. Le vent avait une tendance à se tenir dans l’ouest et s’opposait à la marche de son navire. Et cependant, il avait hâte de gagner le point où Stewart se trouva en présence d’une mer libre. Le 19, il résolut de s’avancer à tout prix dans le chenal ; le vent soufflait debout au brick, qui, avec son hélice, eût pu lutter contre ces violentes rafales chargées de neige, mais Hatteras devait avant tout ménager son combustible ; d’un autre côté, la passe était trop large pour permettre de haler sur le brick. Hatteras, sans tenir compte des fatigues de l’équipage, recourut à un moyen que les baleiniers emploient parfois dans des circonstances identiques. Il fit amener les embarcations à fleur d’eau, tout en les maintenant suspendues à leurs palans sur les flancs du navire ; ces embarcations étant solidement amarrées de l’avant et de l’arrière ; les avirons furent armés sur tribord des unes et sur bâbord des autres ; les hommes, à tour de rôle, prirent place à leurs bancs de rameurs et durent nager[1] vigoureusement, de manière à pousser le brick contre le vent.

Le Forward s’avança lentement dans le chenal ; on comprend ce que furent les fatigues provoquées par ce genre de travaux ; les murmures se firent entendre. Pendant quatre jours on navigua de la sorte, jusqu’au 23 juin, où l’on parvint à atteindre l’île Baring dans le canal de la Reine.

  1. Ramer.