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LES ANGLAIS AU POLE NORD

La nuit exigea la plus sévère attention ; les montagnes flottantes se resserraient dans cette passe étroite ; on en comptait souvent une centaine à l’horizon ; elles se détachaient des côtes élevées, sous la dent des vagues rongeantes et l’influence de la saison d’avril, pour aller se fondre ou s’abîmer dans les profondeurs de l’Océan. On rencontrait aussi de longs trains de bois dont il fallait éviter le choc ; aussi le crow’s-nest[1] fut mis en place au sommet du mât de misaine ; il consistait en un tonneau à fond mobile, dans lequel l’ice-master, en partie abrité contre le vent, surveillait la mer, signalait les glaces en vue, et même, au besoin, commandait la manœuvre.

Les nuits étaient courtes ; le soleil avait reparu depuis le 31 janvier, par suite de la réfraction, et tendait à se maintenir de plus en plus au-dessus de l’horizon. Mais la neige arrêtait la vue, et, si elle n’amenait pas l’obscurité, rendait cette navigation pénible.

Le 21 avril, le cap Désolation apparut au milieu des brumes ; la manœuvre fatiguait l’équipage ; depuis l’entrée du brick au milieu des glaces, les matelots n’avaient pas eu un instant de repos ; il fallut bientôt recourir à la vapeur pour se frayer un chemin au milieu de ces blocs amoncelés.

Le docteur et maître Johnson causaient ensemble sur l’arrière, pendant que Shandon prenait quelques heures de sommeil dans sa cabine. Clawbonny recherchait la conversation du vieux marin, auquel ses nombreux voyages avaient fait une éducation intéressante et sensée. Le docteur le prenait en grande amitié, et le maître d’équipage ne demeurait pas en reste avec lui.

« Voyez-vous, monsieur Clawbonny, disait Johnson, ce pays-ci n’est pas comme tous les autres ; on l’a nommé la Terre-Verte[2], mais il n’y a pas beaucoup de semaines dans l’année où il justifie son nom !

  1. Littéralement nid de corbeau
  2. Green Land