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LA NOUVELLE ÉQUIPE

— La femme du peintre ? N’habite-t-elle pas boulevard Magenta ?

— Oui, presqu’en face la gare du Nord.

— Mais, dites-moi, son mari va partir aussi.

— Hélas ! soupira Jeanne.

Tous quatre étaient descendus sur le boulevard La foule y était intense. On sentait l’énervement des jours d’orage flotter dans l’atmosphère. Cependant cet énervement n’avait rien de menaçant. On y percevait au contraire une exaltation à peine contenue. La folie guerrière, depuis la veille, s’était exaspérée dans l’attente, et le fanatisme si savamment préparé par des années d’éducation, par la presse, par la mise en scène militaire, faisait son œuvre. Il se transmuait en énergie vivante. Le courant magnétique en était si puissant qu’il gagna Jeanne, fatiguée par la tension morale que depuis deux jours elle opposait aux événements.

— Je voudrais crier ma pensée, dit-elle ; il me semble que j’en serais soulagée.

— À quoi cela servirait-il, Madame Bournef, dit Mathias. À vous faire coffrer par la police, ou écharper par la foule.

— Mais à faire réfléchir quelques-uns peut-être.

— Non. Personne ne réfléchit plus maintenant, on se laisse emporter par le flot.

— Mais nous, cependant…

— Nous oui,… et puis, combien sommes-nous ? Y a-t-il à Paris cinquante cerveaux qui soient restés maîtres d’eux-mêmes ? Les plus raisonnables déraisonnent. Les timides ont peur… Oh ! la peur ! la peur ! Tenez, Madame Bournef, la peur domine tout le monde. On a peur de l’Allemagne, on a peur de la police, on a peur de ses camarades, on a peur de ses amis, même. On a peur d’être tué si on part, on a peur de l’être si on ne part pas.