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Page:Vernet - La nouvelle équipe, 1930.pdf/73

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LA NOUVELLE ÉQUIPE

pas un mot ; ou nous ferons chorus avec les voix officielles, et ce n’est pas notre rôle.

— Aucune voix ne s’élévera donc ?

— Mes pauvres amis, il n’y a plus de voix libres.

La porte qu’avait ouverte Mathias, et qu’il n’avait pas refermée, laissait voir une des salles de rédaction, au milieu de laquelle une immense couronne d’églantines rouges était dressée. Un large ruban de moire, portant le nom de Jaurès et la mention des souscripteurs, la traversait.

— Oh ! s’écria Jeanne d’une voix douloureuse.

Avec Maurice elle passa dans la pièce voisine. Longuement, ils s’absorbèrent devant le symbole révolutionnaire.

— Voilà donc, dit enfin Jeanne, tout ce qu’on a trouvé : une pièce décorative. Mais ce martyr méritait mieux que cela. Il fallait dresser son cadavre en face de l’Europe affolée, en faire un rempart contre les états-majors.

— Trop tard, Madame Bournef, dit Louis Mathias, qui s’était approché. Croyez-moi, il n’y a plus rien à faire. Les instincts de violence sont lâchés. Rien à présent ne nous sauvera de la guerre.

— Vous le croyez aussi ?

— Mais voyons, c’est fatal. Question de jours, d’heures peut-être.

Jeanne se ressouvint que, le matin même, son père avait prononcé les mêmes paroles.

Alors, comme Maurice, elle murmura :

— C’est l’enlisement.

L’enlisement, tous le sentaient monter, les étreindre à la gorge.

— Partons ! dit enfin Léon.

— Je pars avec vous, ajouta Mathias, où allez-vous ?

— Chez notre sœur.