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/j LE RYTHME

aussi par là que cette égalité, qu'elle se trouve ou non dans la réalité cor- respondante, doit exister pour notre sensation : comme nous le verrons, des intervalles égaux peuvent nous paraître inégaux, et inversement (i). Enfin, l'égalité n'a pas besoin d'être absolue pour que nous la sentions; elle peut n'être qu'approximative, elle l'est même toujours. Suivant le degré d'exac- titude qu'elle atteint, le rythme est plus ou moins parfait, plus ou moins imparfait (2). Souvent, il n'est pour ainsi dire qu'esquissé; la musique nous en offre à chaque instant des exemples, avec ses accelerandos, ses ritar- dandos, ses points d'orgue, ses reprises d'haleine, etc., surtout dans les solos, les airs d'opéra, les récitatifs, etc. En pareil cas, grâce à notre senti- ment du rythme, nous rétablissons et percevons le rythme idéal et absolu à travers les variations accidentelles ou voulues du rythme réel et relatif.

§ 4. Quand on parle de la perception, de l'emploi ou de la mesure du rythme, il ne s'agit pas d'actes conscients. Nous n'en prenons con- science que par la réflexion. 11 y a des chanteurs et des poètes très sensibles au rythme, très habiles à le marquer, qui n'en ont qu'une idée vague, qui parfois même en ignorent l'existence. La plupart des traités élémentaires de musique n'en parlent pas ou n'en donnent que des notions confuses.

S 5. Par une extension de sens, on donne aussi le nom de rythme à la division du temps ou de l'espace en intervalles dont nous n'apercevons l'égalité que par la réflexion, par la pensée, sans pouvoir la sentir direc- tement : telle est, par exemple, la division du temps en heures, en semaines, en années, en révolutions sidérales, ou bien encore la division d'une route en kilomètres à l'aide de bornes, de la roue d'un taximètre, etc. Mais c'est là un rythme abstrait, dont nous n'avons pas à nous préoccuper

ici.

§ 6. Quant au rythme concret, au rythme proprement dit, nous pouvons le percevoir par l'intermédiaire de tous nos sens. Cependant, le rythme spatial relève presque exclusivement de la vue — par exemple, celui des arbres sur un boulevard, des colonnes du Louvre ou de la INIadeleine, des perles d'un collier; mais c'est seulement à l'aide du toucher qu'un aveugle peut le percevoir. Le rythme temporel s'adresse presque toujours à l'ouïe — par exemple, celui de la musique, des vers, d'une horloge; mais dans la marche, je le perçois parle sens tactile et musculaire quand je marche moi- même, par la vue quand je regarde marcher quelqu'un sans l'entendre ; c'est par le toucher surtout que le rythme des coups est sensible au pauvre diable qu'on passe en mesure par les verges.

(i) On sait que le rythme peut être purement subjectif, c'est-à-dire que la division du temps ou de l'espace peut n'être marquée que par un phénomène purement subjectif. Je ne m'occupe, sauf indication contraire, que du rythme objectif, du rythme signalé par un phénomène objectif.

(2) Il ne s'agit ici que de la perfection de cette égalité. Au point de vue artistique, par exemple, un rvlhme irrégulier à certains égards peut être plus parfait qu'un rythme absolument régulier.