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l'attention 57

notre diction poétique et nos gestes, que le percevoir dans les sons ou les mouvements d'autres personnes ou d'un objet quelconque.

§ 56. Ce métronome de l'attention fonctionne sans doute encore plus simplement. Dans l'attention, comme dans tout processus physiopsycholo- gique, l'efTort alterne avec le repos: tour à tour, elle se renforce et s'afTai- blit, se tend et se détend (i). Ce pouls de l'attention varie d'un individu à l'autre, avec le rythme individuel de l'organisme. Chez une même per- sonne, h l'état normal, il reste à peu près constant. Il est toutefois modifié et par la disposition phvsiopsychologique du moment, en particulier par les émotions, et par les circonstances extérieures. Dans une série de percus- sions identiques et équidistantes, celles-là semblent plus fortes qui coïn- cident avec le pouls de l'attention : c'est là ce qu'on appelle rythme subjectif. Comme cette coïncidence est presque toujours quelque peu inexacte, il se produit une légère accommodation du pouls de l'attention, si bien que même dans le rythme subjectif il intervient déjà une influence objective, capable d'agir sur la sensibilité et sur l'être tout entier.

Dans une suite isochrone de sons égaux en intensité, de sons iden- tiques, nous groupons instinctivement les sons deux par deux, moins souvent trois par trois, en concentrant notre attention sur le premier ou le dernier de chaque groupe, qui nous paraît ainsi plus fort que les autres(2): f F f F... ou F f F f {alternance Ijinaire) ; fl" F HT fl'F... ou F fï'F IT (alter- nance ternaire) (3^. C'est ainsi que nous grouj)ons les coups de piston d'une locomotive: nous entendons d'abord, par exemple, fFfF..., puis, si le mouvement s'accélère, ffFlTF... ; ce changement vient de ce que nous conservons nous-mêmes l'isochronisme de l'unité rythmique adoptée au début, ou 'd pou près, si bien qu'elle comprend maintenant trois éléments au lieu de deux. Mais il peut y avoir aussi une autre cause. Si l'alternance binaire (F f) est plus fréquente que la ternaire (F fT), et de beaucoup, c'est que de toutes les divisions rythmiques d'une série d'objets, la plus simple et par conséquent la plus facile à percevoir est sans contredit la division deux par deux. Mais comme il s'agit ici d'un rythme temporel, l'alternance binaire pourrait quelquefois donner des unités par trop brèves, c'est-à-

(i) Il y a en réalité un rythme de latlention et un rythme de la sensation, qui se confondent ici en un seul. — Sur l'atlenlion, v. Wundt, l. c, Scripture, /. c, Pillsbury, L'altention. trad. fr., Paris, 1906, et surtout Ed. Roehricli, L'attention, Paris, 1907.

(2) f (lire faible') = percussion, note, syllabe, partie ou sensation faible. F (lire/or<e) =per- cussion, note, syllabe, partie ou sensation forte.

(3) Sur le rythme subjectif, v. Wundt, Psychol., p. 178 et suiv., et ]ôlkerpsychol., I, vol. II, p. .377 et suiv. ; Bollon, American Journal of Psychol., VI, 1898, p. 2i/i et suiv. ; Meumann, Philos. .Stud., IX, 189A, p. 264 et suiv., X, 1894, p. 249 et suiv., et XII, 1896, p. 127 et suiv; ^^undt, Phys. Psych., III, p. 25 et suiv., 9^ et suiv. — Le rythme subjectif est décroissant chez les Germains (Ff) et croissant chez les Latins (f F). Cette dilTérence se retrouve dans l'ac- centuation de leurs langues respectives (v. P« Partie, § (38 et suiv.). Il faut sans doute en cher- cher la cause dans le tempo et l'excitabilité différents de la sensibilité: s'il y a soudain accéléra- tion dans le retour de percussions équidistantes, le rythme subjectif se transforme chez les Allemands de décroissant en croissant; il suffit, d'ailleurs, de l'intervention du sentiment pour amener le même résultat (v. Wun<lt. (6., p. 27 et 99).