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l.E RYTHME AUTISTIQUE 87

glots. Il gémit sur sa race qui « touche à sa fin, pareille aux rameaux du bois sous la tempête ». Il pleure son fils bien-aimé. Pour le venger, si c'était possible, il attaquerait à l'épée le dieu des mers. Impuissant contre les dieux, il s'emporte contre leur tyrannie. « Pourtant, dit-il, Odin m'a donné dans mon malheur une compensation que je bénis..,, un art impec- cable (i). .l'ai le cœur triste, la INIort m'appelle du haut du tumulus de ma ramille. Mais, lésigné, sans révolte et sans deuil, je veux l'attendre (2). »

— « A mesuie qu'il composait ce poème, la force et le courage lui rêve- naient, et quand il l'eût terminé, il le récita à sa femme, à sa fille et à ses iiens. Il se leva ensuite de son lit et alla s'asseoir sur le siège d'hon- neur (3). » Toute idée de suicide avait disparu. Car, comme le dit Théo- cri te dans le Crclope,

Car les Muses, par qui se consolaient ses pleurs. Sont le remède unique à toutes nos doideurs (/j).

Pour le poète, la poésie remplace les larmes, les accès d hilarité, les cris, les gestes, l'assouvissement du désir, les actions violentes ou folles par lesquels d autres épuisent leurs émotions ou cherchent au moins à les épui- ser(5). (^uant à la valeur de ses vers, elle tient à la puissance, à la gran- deur, il la délicatesse et au caractère personnel — au « frisson nouveau »

— des émotions qu'ils expriment, à condition, bien entendu, que ces <jualités soient fidèlement traduites par le rythme, les timbres, la mélodie <'t le sens des mots.

Tout vrai poème, comme toute autre œuvre d'art, exprime ainsi une émotion dominante, une, totale, indivisible, impossible même à analyser, sous laquelle s'ordonnent nombre d'émotions particulières et plus ou moins fugitives, qui reçoivent d'elle une nuance spéciale et aident d'autre part à la constituer.

(i) Sonatorrek, str. 28 et 2^ : jpô liefr Mi'ms vinr - — mrr of fongnar — bolva bœtr — es et bctra tclk. = Gofomk i^rôtt... vamme fir^a.

(2) 76., 25'" et dernière strophe.

(3) C'est-à-dire, à table. — Egils saga Skallagrimssonar, LXXVIII, 82 : Egill tôk at br<-ssaz, svâ sem framm leid at vrkja kvjédit, etc. — Cp. Goethe après Werther.

(/i) Trad. de Leconte de Lisle (Poèmes yi/i<t(yues). Le texte ne parle que de «la douleur d'aimer », ainsi rpic l'appelle Xavier Privas dans la Chanson des Douleurs, de la douleur d'aimer en vain :

Théockite, XI, I et 3. Les arts, en particidier la musique et la poésie, agissent de la même manière, bien qu'à un moindre degré, sur l'auditeur ou le spectateur. Nous y cherchons des émotions, pour les épuiser par la katharsis. On sait ce qu'en dit Aristote : pour la musique, v. Politique, VIII, eh. 7 (Didot, t. I, p 032 et suiv.) ; pour la tragédie, v. Poétique, ch. vi (Didot, t. I, p. ^61), etc. Voici \\

passage de Plutarque, qui s'applique aux émotions tristes: M-z-iy rj Op7;vo)3ta xa't ô Im/.T/fiiioz, 

ajXo; £v ap/^ -âOo; v.'mv. v.x: oi/.yjO'/ È/.,3âX).£'., -poâyrov o- ttjv '}u/V' £•; ol/.tov, Ojtw xatà [Atz- oôv ^'çaipîT -/.al vioùJ.t/.h tÔ \\j-T-.<.Y.r'f/ (Moralia, Didot, II, p. 797).

(5) Cp. : « Vor allem aber bilden sic eine Ablcitung der ûbermiissig angewachsenen inneren Spannung, die, je wcniger sie in Goberdcn oder Thr.ïnon sich iiussert, um so heftiger die Cen- tralorgane zu ergreifen pllcgt » (Wundf, Phys. Psych., III, p. 21/1).