Page:Vers et Prose, tome 12, décembre 1907, janvier-février 1908.djvu/102

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L’idole que nos mains hier ceignaient de roses,
Le dégoût aujourd’hui déjà la jette bas ;
Quel noir destin régit ces êtres et ces choses
Et qu’il eût mieux valu ne les connaître pas !

Toi seule tu n’es pas un songe de passage ;
Ton idéal vivant à l’antique est pareil,
Et telle tu dormais au creux du sarcophage,
Telle nous te voyons, debout dans le soleil !



Ta tendresse me moque et me trahit, peut-être ;
Mais qu’importe le vrai dans les choses d’amour ?
Mon cœur joyeux jamais ne l’a voulu connaître
Et saura l’ignorer jusques au dernier jour.

Que le laurier riant de ta fraîche couronne
S’incline en frémissant vers un plus jeune front ;
Le dieu vainqueur bénit l’oubli qui l’environne
Et de la renommée il redoute l’affront.

Son triomphe n’est pas de ceux que l’on acclame,
Mais si de son labeur l’abandon est le prix,
C’est qu’il n’est pas de baume à qui souffre d’une âme
Et que l’amour sied mal au masque du mépris.

Le funèbre aquilon peut s’abattre avant l’heure
Sur le Pinde désert et ses bois aux troncs creux :
L’arbre immortel se dresse auprès de ma demeure
Comme au pied du tombeau le cyprès ténébreux.


O.-W. MILOSZ