Page:Vers et Prose, tome 9, mars-avril-mai, 1907.djvu/59

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sont plus qu’une plaie qui suppure de rancune, ou deux ruines affamées, couturées en tous sens de marques et de cicatrices. Les pires blessés, ceux qui s’aiment encore en se blessant, et ne cessent pas de se blesser tout en s’aimant. Pour les cœurs profonds, il n’est pas de divorce.

Souvent, tu m’as pris dans tes bras, Hélène, et tu m’y as tenu encore blessé de tes coups et battu de tes vaines tempêtes. Combien de fois tu m’as serré sur ta gorge, plus absent et plus froid qu’un mort. Que ma chair sensuelle était loin, et tu t’en doutais à peine.

Tu avais déchiré ma vie, et tu ne possédais que mon ombre. Imprudente ! Par la plaie que tu avais ouverte, par delà ma dépouille rigide, mon âme pleine du dégoût sans bornes et sans paroles que la volupté périssable inspire, s’était rendue dans la clairière au bois des pleurs, sous les pins lunaires du souvenir. Tu croyais me tenir ! Et mon âme, changeant d’exil, était couchée dans la sainte prairie des larmes, près de ses sœurs immortelles, la Vie Perdue, la Passion dans la Douleur et la Contemplative Psyché dont le vent de terre a éteint la lampe. Tu parlais ; tes dents baisaient mes lèvres, et tes lèvres mordaient. Mais moi, dans la contemplation suprême, je trouvais l’unique consolation qui est de n’en plus chercher, parmi les fleurs sanglantes, toutes les flammes du cœur, qui n’ont pas plus d’un jour et qu’il veut éternelles.

Hélène, Hélène, qu’as-tu fait ? Il ne fallait pas exciter en moi le vent de la puissance qui dévaste. Il s’est levé, le noroît terrible de l’ennui.