Page:Vers et Prose, tomes 20 à 23, janvier à décembre 1910.djvu/64

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Une larme est au bord de vos yeux si meurtris.
Pour la première fois, j’ai peur de ce voyage !

Il fait si bon, là-bas, dans vos robes, maman,
Tant de légendes d’or chantent dans la théière,
Le soir, sur nos berceaux, vous disiez doucement
« Papa, les p’tits bateaux » ou bien « Il pleut, bergère ! »

Pourquoi faut-il partir et vous laisser, devant
La lampe, quand l’hiver tourmente la glycine,
Quand gronde aux carreaux noirs la grosse voix du vent,
Seule, avec les héros muets du magazine…

Pourquoi faut-il quitter son enfance et partir
Loin du calendrier, du râtelier de pipes,
De Jules Verne et de Perrault, du souvenir,
De l’album de peluche aux daguerréotypes…

Mon cœur, comme un bijou d’ex-voto, recela
Des prières d’enfant, des contes en image,
Hélas, hélas, pourquoi faut-il jeter cela,
Voici que je dois vivre et je suis sans courage !

Je vous effeuille au vent, souvenir, souvenir,
Comme un billet fané qu’on jette à la portière,
Voici qu’une aube triste et grise va venir,
Ô mon enfance, adieu, ne pleure pas, ma mère.

Ainsi je songe à vous, à la lampe, au dressoir,
Au jardin qui me hante encor de lieue en lieue
Et j’entends, refaisant leur bruit de remontoir,
Les grillons patients qui liment la nuit bleue.

Le bougainville ardent qui flambait s’est éteint,
Les boules du ficus tombent, l’air se balance,