Page:Vers et Prose, tomes 20 à 23, janvier à décembre 1910.djvu/63

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

Alors, c’est l’inconnu formidable et béant,
Le vertige qui prend les arbres en démence,
Un sémaphore obscur, démesuré, géant
Qui brasse du mystère avec un geste immense.

Des leviers, apparus dans l’ombre, ont remué,
Les arbres dans la pluie ont des plaintes humaines
Et brusquement surgi comme un veilleur muet
C’est un disque portant sa lanterne et ses chaînes.

Le train tranche l’espace avec son coupe-vent,
Il va vers la tristesse et l’hiver, il s’élance,
Les pierres du remblai tressaillent ; émouvant,
On entend le sifflet qui fouille le silence.

Écoute tout son cri d’angoisse et de désir,
D’affolement, d’orgueil, de conquête assouvie
Poussé vers ton bonheur et vers ton avenir,
Vers l’inconnu que tu dois vaincre, vers la vie…


*

C’est la maison au clair de lune, le rosier ;
Ô mon père, j’entends, ce soir, de lieue en lieue,
Le bruit, que fait ta pipe en bois de merisier
Contre le cendrier de porcelaine bleue.

Ah ! c’est aussi le bruit des fuseaux dans les fils,
Mère, ton simple anneau s’allume sous la lampe,
Et je songe : « Combien sont-ils, combien sont-ils ? »
Devant tes cheveux blancs qui luisent vers la tempe.

Vous dites : « Il sera dans une heure à Paris. »
Je vois vos pauvres mains qui tremblent davantage,