Page:Vianey - Les Poèmes barbares de Leconte de Lisle, 1933.djvu/146

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épaules leur proie, ours, cerf ou lion, les femmes ayant sur la tête les vases d’airain emplis d’eau, un immense bétail à leur suite, et du haut des tours les vieillards regardant leur race avec orgueil. Aux éléments puisés dans les sources littéraires, l’archéologie en a ajouté de précis. Un très grand art les a tous fondus en un tableau cohérent, et d’où se dégage fortement la pensée de l’auteur : c’est que les hommes primitifs avaient réussi à appesantir leur domination sur la nature entière, qu’ils contraignaient le fer à leur servir de demeure, les bêtes sauvages à leur procurer le vêtement comme la nourriture, les autres bêtes à être leurs esclaves ; c’est qu’assujettis par leur propre volonté à une belle discipline ils agissaient de concert et respectaient les vieillards qui les admiraient ; c’est que pour être forte et belle, pour dompter la nature et pratiquer les vertus les plus hautes, cette humanité vigoureuse n’avait pas eu besoin de se donner des dieux.

Quand toute la troupe a disparu dans l’orbe des remparts, Thagorma comprend que c’est là le sépulcre de Qaïn et son rêve, le transportant dans le passé, le fait assister à la mort du Rôdeur. Peut-être Hugo a-t-il suscité, d’une certaine manière, cette partie du rêve. Le héros de Hugo, après le crime, est saisi par le remords et le poème tend à prouver que la conscience est née du premier crime. Pour échapper à l’œil qui le regarde, Caïn se fait descendre au fond d’une tombe, au creux de la terre ; mais l’œil est tou-