Page:Vianey - Les Poèmes barbares de Leconte de Lisle, 1933.djvu/66

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Cela dut m’arriver en des temps très anciens.
Ô nuit ! Nuit du néant, prends-moi ! La chose est sûre,
Quelqu’un m’a dévoré le cœur. Je me souviens ![1]


Il n’aimait pas les « montreurs », parmi lesquels on regrette qu’il n’ait pas hésité à mettre Musset. La Nuit d’octobre lui déplaisait souverainement. Il s’en prenait surtout à la tirade :


Honte à toi qui la première
M’as appris la trahison[2].


Donc, lui-même se garderait bien de promener devant la plèbe carnassière son cœur ensanglanté, de lui vendre « ou son ivresse ou son mal ».

Sans doute, dans les quelques pièces citées plus haut, son mal lui arrache des cris si douloureux qu’on s’étonne que celui qui les pousse ait pu être qualifié d’impassible. Mais, même dans ces pièces, où la passion se manifeste directement, et avec violences combien la confidence reste discrète ! Et ce n’est pas là surtout qu’il nous a dit et son ivresse, et son mal, et ses regrets ; ce qu’il aimait ou haïssait dans la traîtresse ; ce qu’il aurait voulu trouver dans l’amour.

L’ivresse du premier baiser, il l’a dite dans les trois derniers vers du petit poème allégorique : le Colibri (1855). Le frisson qui secouait tout son être

  1. Poèmes Barbares, 1871,
  2. Voir Calmettes, p. 103.