Page:Vianey - Les Poèmes barbares de Leconte de Lisle, 1933.djvu/83

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Sauvage par son exotisme, l’île natale du poète le fut longtemps par une des pires barbaries : l’esclavage.

Leconte de Lisle avait grandi au milieu des noirs. Il admirait leur vigueur, leur patience, leur fidélité, leur résignation. Il détestait la cruauté des répressions dont il était témoin : le claquement des fouets s’abattant sur les épidermes à vif, les cris de grâce sortant le soir des cases, la paresse châtiée par le supplice de tourner la meule à la place du cheval, l’oreille coupée ou le jarret brisé au fugitif qu’on avait repris après une battue. Autour de lui bien des blancs assistaient impassibles à ces scènes atroces. Les jeunes femmes en riaient. Sa propre grand mère savait donner l’exemple des sévérités impitoyables. Mais lui-même avait les nerfs malades. La nuit, il se réveillait en sursaut, croyant entendre le bruit des lanières et les appels de détresse. Quand il fut en France il frémissait encore au souvenir de ces souffrances. Il les racontait avec horreur à ses amis[1].

Dès que la deuxième République eut affranchi les nègres, il rédigea, au nom des créoles présents à Paris, une lettre d’adhésion. Il forma même le projet de faire dans les colonies une tournée de propagande contre l’esclavage. Mais ses compatriotes n’étaient pas pré-

  1. Voir Calmettes, p. 6-12.