Page:Vianey - Les Poèmes barbares de Leconte de Lisle, 1933.djvu/99

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répond à l’appel d’Hialmar, pas un ne bouge. Alors, il s’adresse au corbeau :


Viens par ici, Corbeau, mon brave mangeur d’hommes !
Ouvre-moi la poitrine avec ton bec de fer.
Tu nous retrouveras demain tels que nous sommes.
Porte mon cœur tout chaud à la fille d’Ylmer…

Et la fille d’Ylmer, Corbeau, te sourira.


Croit-il vraiment que le corbeau va exécuter cette mission ? S’il ne le croit pas, il ne profère que de vaines paroles. S’il le croit, à quoi n’expose-t-il pas son cœur ?

Mais il n’y a pas de doute : ce fut ce testament confié au mangeur d’hommes qui fit surtout le succès du poème : car tout le monde reconnut aussitôt que l’idée de faire porter un cœur à une fiancée par le bec d’un corbeau était une idée extrêmement scandinave.

Elle était tout simplement conforme à la conception que les auteurs et les lecteurs du Parnasse se faisaient d’un héros barbare. Cette conception, c’était le romantisme qui l’avait créée ; mais Leconte de Lisle l’avait développée par son recueil des Poésies Barbares de 1862. Il la précisait encore.

Et le Cœur de Hialmar plaisait d’autant plus qu’il était, même en dehors de l’appel au corbeau, plein d’éléments chers au goût français de ce temps-là. Attitude sculpturale des morts ; combinaison pittoresque du sang rouge, de la neige blanche, du corbeau noir ; concert de merles dans les buissons, hurlement de la mer et des loups, heurt des cruches d’or et chants