Page:Viau - Œuvres complètes, Jannet, 1856, tome 1.djvu/15

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
xj
sur Théophile.

Cependant il faut vivre en ce commun malheur,
Laisser à part esprit, et franchise, et valeur,
Rompre son naturel, emprisonner son anie,
Et perdre tout plaisir pour acquérir du blasme.
L’ignorant qui me juge un fantasque resveur,
Me demandant des vers, croit me faire faveur,
Blasme ce qu’il n’entend, et son ame estourdie
Pense que mon sçavoir me vient de maladie.

En outre, Théophile avoit l’humeur rude :

Escrivant pour autruy, je me sens tout de glace…
Je n’entends point les* loix ny les façons d’aymer.

Or il falloit écrire pour le maître, et surtout chanter ses amours. Il est inutile d’ajouter que les mérites alors n’étoient pas imprimés, pour parler comme Ménage, et que la réputation étoit une faveur de la cour, comme les pensions. Par bonheur pour Théophile, il plut au malheureux duc de Montmorency, Henri II, qui eut vingt ans en 1615, « brave, dit Tallemant, riche, « galant, libéral, dansoit bien, étoit bien à cheval et « avoit toujours des gens d’esprit à ses gages qui faisoient des vers pour lui, qui l’entretenoient d’un million de choses et lui disoient quel jugement il falloit « faire des choses qui couroient en ce temps-là. » Voilà bien le maître qu’avoit rêvé Théophile :

Desjà trop longuement la paresse me flatte,
Et je sens qu’à la fin elle devient ingratte ;
J’ay donné trop de temps à mon propre plaisir.
Pour trop de liberté j’ay manqué de loisir ;
Je veux effrontément, avecques mon salaire,
Nourrir à tes dépens le soucy de me plaire.
Je ne puis estre esclave et vivre en te servant
Comme un maistre dTiostel, secrétaire ou suivant.
Telle condition veut une humeur servile.
Et pour me captiver elle est un peu trop vile ;
Mais, puisque le destin a trahy mon esprit,
Et que loing du Pérou la fortune me prit.
Je dois aymer mon joug, m’y rendre volontaire,
Et dedans la contraincte obeyr et me taire.
C’est d’un juste devoir surmonter la raison
Et trouver la franchise au fonds d’une prison.
Or, je suis bienheureux soubs ton obeyssance ;