Page:Viau - Œuvres complètes, Jannet, 1856, tome 1.djvu/312

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Car, eusses-tu porté l’abysme
Jusques où nous levons les yeux,
Et d’un débord prodigieux
Trempé le ciel jusqu’à la cime,
Au lieu de t’estre injurieux,
Hyver, je louerois ton crime.

Helas ! le gouffre des mal-heurs
D’où je puise l’eau de mes pleurs
Prend bien d’ailleurs son origine ;
Mon desespoir, dont tu te ris,
C’est la douleur de ma Cloris,
Qui rend toute la cour chagrine,
Les dieux, qui tous en sont marris
Jurent ensemble ta ruine.

Ce beau corps ne dispose plus
De ses sens, dont il est perclus
Par la froideur qui les assiege.
Espargne, Hyver, tant de beauté !
Remets sa voix en liberté ;
Fais que ceste douleur s’allege,
Et, pleurant de ta cruauté,
Fais distiller toute la neige.

Qu’elle ne touche de si près
L’ombre noire de tes cyprès,
Car, si tu menassois sa teste,
Le laurier, que tu tiens si cher,
Et que l’esclair n’ose toucher,
Seroit subject à la tempeste,
El les dieux luy feroient secher
La racine comme le faiste.

Mais si ta crainte ou ta pitié
Veut fléchir mon inimitié,
Sois luy plus doux que de coustume.
Ronge nos vignes de muscats,
Dont les Muses font tant de cas ;