Page:Viau - Œuvres complètes, Jannet, 1856, tome 1.djvu/344

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


Ne touche point ma fantaisie,
Au prix des graces de tes yeux.

Sur mon ame, il m’est impossible
De passer un jour sans te voir
Qu’avec un tourment plus sensible
Qu’un damné n’en sçauroit avoir.
Le sort, qui menaça ma vie
Quand les cruautez de l’envie
Me firent esloigner du roy,
M’exposant à tes yeux en proye,
Me donna beaucoup plus de joye
Qu’il ne m’avoit donné d’effroy.

Que je me pleus dans ma misere !
Que j’aymay mon bannissement !
Mes ennemis ne valent guere
De me traicter si doucement.
Cloris, prions que leur malice
Fasse bien durer mon supplice ;
Je ne veux point partir d’icy ;
Quoy que mon innocence endure,
Pourveu que ton amour me dure,
Que mon exil me dure aussi.

Je jure l’amour et sa flame
Que les doux regards de Cloris
Me font desjà trembler dans l’ame
Quand on me parle de Paris.
Insensé ! je commence à craindre
Que mon prince me va contraindre
À souffrir que je sois remis.
Vous, qui le mistes en cholere,
Si vous l’empeschez de le faire
Vous n’estes plus mes ennemis.

Toy qui si vivement pourchasses
Les remedes de mon retour,
Prens bien garde, quoy que tu fasses,