Page:Viau - Œuvres complètes, Jannet, 1856, tome 1.djvu/374

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A MONSIEUR DU FARGIS[1].


Je ne m’y puis résoudre, excuse-moy, de grâce :
Escrivant pour autruy je me sens tout de glace.
Je t’ay promis chez toy des vers pour un amant
Qui se veut faire ayder à plaindre son tourment ;
Mais, pour luy satisfaire et bien paindre sa flame,
Je voudrois par avant avoir cogneu son ame.
Tu sçais bien que chacun à des gousts tous divers,
Qu’il faut à chaque esprit une sorte de vers,
Et que, pour bien ranger le discours et l’estude,
En matière d’amour je suis un peu trop rude.
Il faudroit, comme Ovide, avoir esté picqué ;
On escrit aisément ce qu’on a pratiqué,
Et je te jure icy, sans faire le farouche,
Que de ce feu d’amour aucun traict ne me touche.
Je n’entends point les loix ni les façons d’aymer,
Ny comme Cupidon se mesle de charmer.
Geste divinité, des Dieux mesme adorée,
Ces traicts d’or et de plomb, ceste trousse dorée,
Ces aisles, ces brandons, ces carquois, ces apas,
Sont vrayment un mystère où je ne pense pas.
La sotte antiquité nous a laissé des fables
Qu’un homme de bon sens ne croit point recevables,
Et jamais mon esprit ne trouvera bien sain
Celuy-là qui se paist d’un fantosme si vain,
Qui se laisse emporter à des honteux mensonges
Et vient, mesme en veillant, s’embarrasser de songes.
Le vulgaire, qui n’est qu’erreur, qu’illusion,
Trouve du sens caché dans la confusion ;
Mesme des plus sçavans, mais non pas des plus sages,

  1. M. du Fargis d’Angennes, neveu du marquis de Rambouillet. Il fut ambassadeur en Espagne. (Sa femme fut célèbre, sous le ministère de Richelieu, par ses intrigues et son exil.)