Page:Viau - Œuvres complètes, Jannet, 1856, tome 1.djvu/390

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Ne la poussez ailleurs que sur ma teste.
Et vous, beaux yeux, plus aymez que le jour,
Qui remplissez tous mes esprits d’amour,
Pour pénitence octroyez-moy, de grâce,
Mourant pour vous, que mon péché s’efface ;
Que je reprenne en vos divins appas
D’un lasche crime un glorieux trespas ;
Et quand mon ame, en vos liens captive,
Pour mieux souffrir obtiendra que je vive,
Que le regret d’avoir esté si sot,
Et sans le bien de vous servir plustost,
Chaque moment reproche à mon courage
Le deshonneur de mon premier servage.
Faictes-le donc, beaux yeux, je le consens ;
Mais je demande un mal que je ressens :
Je suis desjà, dans ce supplice mesme,
Prest de mourir depuis que je vous ayme.
Le souvenir d’avoir porté des fers
Si malheureux me tient dans les enfers.
A chaque fois que ce bel œil m’envoye
Ses doux regards pleins d’honneur et de joye,
Où Venus rit, où ses petits Amours
Passent le temps à se baiser tousjours,
Les vains souspirs d’une contraincte flame
Me font ainsi discourir en mon ame :
Pauvre abuzé, que j’eus mauvais conseil !
Que j’ay bien pris la nuict pour le soleil !
Que mon esprit fut autrefois facile,
Et que l’erreur me trouva bien docile !
Que je fus lourd ! que je fus insensé !
Mon jugement en est tout offensé.
Les faux attraicts à qui je fis hommage
Qu’ont-ils d’esgal à ce divin visage ?
Ce n’est qu’horreur au prix de ta beauté,
A qui je viens donner ma liberté.