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Page:Viau - Œuvres complètes, Jannet, 1856, tome 2.djvu/12

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est un tesmoignage assez evident que je ne suis pas cause de ma disgrace et que je ne la merite point. Je voudrois bien que les censeurs qui sont si diligens à examiner ma vie fussent au moins capables de croire les actes publics de la justice qui font foy de ceste verité. Mais tout ce qui fait à ma justification est contre leur dessein ; leur chagrin ne se prend qu’au mal, ils ne me cognoissent que par où ils exercent leur aigreur, et l’inclination qu’ils ont à tout reprendre faict qu’ils craignent plus l’amendement d’un homme qu’ils ne haïssent sa desbaucbe. Ceste promptitude de rechercher les mauvaises actions d’autruy, et ceste nonchalance à recognoistre les bonnes, est une fausse preud’homie et une superstition malicieuse, qui tient plus de l’hypocrisie que du vray zele. On souffre toutes sortes de desordres et de blasphemes en la personne de qui que ce soit, mais on fait gloire de diffamer l’innocence en la mienne. Ces calomniateurs, qui sont des gens presque incogneus, et de la lie du monde, ont voulu persuader leur imposture à de saincts personnages de qui je veux éviter la haine, et pour l’estime que je fais de leur vertu et pour le respect que je dois à leur credit, et j’espere que l’envie travaillera inutilement à seduire la charité de ces prelats, qui cognoissent trop bien le visage de l’erreur et sçavent que toutes les medisances sont suspectes de fausseté. Il est vray que des plus grands et des mieux sensez de la cour, pource qu’ils sçavent ma vie, en ont parlé favorablement ; je les nommerois en les remerciant ; mais, dans le des-honneur qu’on me procure, je ne veux pas leur reprocher qu’ils me cognoissent. Il n’y a pas jusqu’à des bourgeoises, que je sçay vivre encore dans la penitence de leurs adulteres, qui ne fassent une devotion de maudire mon nom et de persecuter ma vie. L’esprit malin qui souffle la calomnie à mes envieux les porte contre moy au soupçon de quelques crimes où le sens commun ne peut consentir[1]. Je parlerois plus clairement pour

  1. Ils disent que je suis amy de la nature partout, et que tout mon soin est de complaire à ma sensualité, et cependant ils m’accusent d’avoir le goust des affections les plus naturelles. Incertain et depravé, je ne me retiens pas assez du plaisir comme chrestien, je m’y laisse aller comme homme, mais je ne m’y laisse pas tromper comme beste. Ces desirs frenetiques où s’emportent les ames malades ne font point d’effort à mon sentiment. (Bibl. impér., mss. Saint-Germain, f. 1848.)