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Page:Viau - Œuvres complètes, Jannet, 1856, tome 2.djvu/13

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ma deffence ; mais la révérence publique et ma propre discrétion me commandent d’estouffer ces injures et de cacher à la curiosité des esprits foibles la confusion de quelques accusateurs, de peur que ce ne fust une instruction pour le crime à tout le monde. Le mal qu’on fait à blasmer un péché incogneu, c’est qu’on l’enseigne, et les âmes qui sont aisées à se desbaucher trouvent là des occasions à se pervertir. Il me suffit de me sauver de leur malice et de leur faire entendre que, si les efforts de leur animosité leur succèdent jusqu’à ma ruine, il me restera tousjours une consolation du remors qui leur en est inévitable : car je sçay bien que le dessein de leur persécution n’est pas tant de me sacrifier à la pieté qu’à leur ambition : le peu d’estime qu’on fait de mes esprits, et les médisances contre une réputation de si peu d’importance, sont des outrages qui ne me nuisent guère, et qui ne m’affligent pas aussi beaucoup. Mais cette envie enragée qui ne me laisse point de fondement pour ma fortune ny de seureté pour ma vie me pique véritablement et me met aux termes d’éclater contre mes ennemis ; s’ils me font voir ma perte manifeste, je me soucieray fort peu du péril qui la pourroit advancer. Il y a desjà long-temps que ma paresse et ma timidité laissent impunément courir sur moy leur injustice ; ils ont pris à tasche de pousser mes infortunes jusqu’au bout, et me font voir presque à la veille de me bannir moy-mesme pour treuver une liberté à mon ressentiment. Je ne demande plus de la vie qu’autant de temps pour me plaindre qu’ils en ont passé à m’injurier ; je ne suis point un faiseur de libelles, et n’offençay jamais personne du moindre trait de plume, et je croy que selon les hommes, j’ay la conscience droite et l’esprit traitable : si bien que je suis à deviner encore ce qui m’a peu susciter une si violente et si longue haine. Il est vray que la coustume du siècle est contraire à mou naturel ; je voy que, dans la conversation des plus sages, les discours ordinaires sont choses feintes et estudiées ; ma façon de vivre est toute différente. Geste mignardise de compliments communs et ces révérences inutiles, qui font aujourd’huy la plus grande partie du discours des hommes, ce sont des superfluitez où je ne m’amuse point, et, combien qu’elles soient receues et comme nécessaires, pource qu’elles répugnent entièrement à mon humeur, je ne suis pas capable de m’y as-