Page:Victoire de Donnissan de La Rochejaquelein - Mémoires de Madame la marquise de La Rochejaquelein, 1889.djvu/101

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

charité. J’aurai occasion de beaucoup parler de lui ; aussi, il faut que j’en fasse le portrait. C’était un homme de cinquante ans, petit, gros, bon, sot et poltron : voilà en deux mots son caractère ; sa figure exprimait la bêtise et peignait parfaitement son mérite. Il avait dû être prêtre pendant plusieurs années ; tout le temps qu’il avait porté le petit collet, il avait été assez libertin ; il entra au service et devint bigot : il portait tout à l’excès. M. de Marigny était aussi chez moi, y étant revenu en même temps de Paris.

Telles étaient les personnes qui vivaient à Clisson, et nous ne recevions pas de visites, parce que personne n’osait se voir ; nous avions, entre nous, une cinquantaine de domestiques, tous aristocrates, à l’exception du nommé Motot (valet de chambre-chirurgien de ma grand’mère), de sa femme et du maître d’hôtel. Le premier était terroriste ; cependant nous les gardions tous, parce qu’ils avaient eu les plus grands soins de Mme  de Lescure. À sa mort, ignorant leurs principes, elle avait prié son petit-fils de les garder chez lui toute leur vie, et leur avait fait en outre des legs considérables. La mémoire de sa grand’mère était si chère à M. de Lescure, qu’il ne voulait point désobéir à la moindre de ses volontés,

Le 31 octobre au soir, les douleurs me prirent pour accoucher ; on envoya chercher un chirurgien de Châtillon, nommé Beauregard, très habile, fort patriote contre les prêtres et le Roi, mais attaché à la noblesse, surtout à notre famille. Il arriva trop tard ; après avoir souffert sept heures, je mis au monde une fille ; Motot pensa me tuer par maladresse. Cependant mes couches furent très heureuse. Maman me prodigua ses soins ; je donnai ma fille à nourrir à une paysanne que je pris chez moi, ne voulant pas nourrir moi-même ; je prévoyais que la révolution pourrait nous atteindre, et je voulais suivre, à quelque prix que ce fût, M. de Lescure, soit en prison, si on l’y mettait, soit à la guerre, s’il se formait un parti, le sachant déterminé à s’y jeter.

Quelque temps après, le Roi périt. MM. de la Rochejaquelein