Page:Victoire de Donnissan de La Rochejaquelein - Mémoires de Madame la marquise de La Rochejaquelein, 1889.djvu/35

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ses nouvelles ; le malade daigna à peine lui répondre. Alors, M. de Pl*** prit de la tisane, là versa dans une tasse, y mit du sucre, et la tournant avec une cuiller, la lui présenta en disant : « Prenez, cela vous fera du bien. » Mon oncle le repoussa d’abord d’un air indigné. M. de Pl*** le regarda d’un œil fermé et assuré ; mon oncle, sans dire un mot, saisit la tasse avec une expression de colère et de courage, et but sans cesser de fixer M. de Pl***. Les yeux de ces deux hommes, arrêtés l’un sur l’autre, avaient quelque chose de terrible.]

J’aimais mon cousin, mais le désordre de son père avait changé les idées de mes parents ; ils avaient raison. Qui aurait pu croire qu’il fût assez maître de lui-même pour n’avoir jamais aucune faute à se reprocher ? Jamais il n’eut à se repentir de la plus légère étourderie, qu’on trouve même naturelle aux jeunes gens, et cela dans aucun genre. [Toujours rempli de crainte et d’amour de Dieu, évitant jusqu’à la moindre pensée qui pût l’offenser, il avait un air triste et distrait dans le monde, où il n’écoutait presque jamais ce qu’on disait ; en famille il était plutôt gai.] J’ajouterai que jamais de sa vie, il n’a eu la moindre brusquerie, ni colère ; il avait une égalité d’humeur et un sang-froid que je n’ai vus qu’à lui, et d’autant plus extraordinaires, qu’il était fort vif ; mais il était un peu entêté, ce défaut venait beaucoup des plaisanteries qu’il recevait à tout propos ; accoutumé à résister sans relâche à ses goûts et à ceux des autres, il était nécessairement tenace à ses idées. Il passait sa vie à lire, à étudier ; comme il avait une mémoire prodigieuse et qu’il réfléchissait sans cesse, il savait tout, mais n’en jouissait guère.

Un trait singulier fera connaître mieux M. de Lescure. Il était un jour dans le salon de ma grand’mère avec quelques personnes, et, suivant son habitude, ayant trouvé un livre, il le lisait au lieu d’écouter la conversation ; ma grand’mère lui en fit reproche, et comme apparemment elle s’ennuyait, elle le pria