Page:Victoire de Donnissan de La Rochejaquelein - Mémoires de Madame la marquise de La Rochejaquelein, 1889.djvu/47

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

gardes du corps, vient à nous et nous dit : « Rentrez, rentrez, le peuple de Paris est soulevé, il a pris la Bastille, on dit qu’il marche sur Versailles. » La terreur succède à la gaieté, nous retournons dans nos appartements, toute la terrasse devient déserte en un instant.

Je passe les événements qui suivirent ; je dirai seulement une anecdote singulière, que j’ai sue depuis avec certitude. Le jour de la prise de la Bastille, où tout le peuple de Paris criait Vive le duc d’Orléans ! celui-ci, ne sachant prendre aucun parti, fut chez Mme de Lamballe, sa belle-sœur, à l’hôtel de Toulouse, sous prétexte de lui faire une visite, et, dans le fait, pour se cacher. Elle était incommodée, et elle fit ce qu’elle put pour le congédier ; mais il resta malgré elle, depuis six heures du soir jusqu’à onze, parlant peu, paraissant inquiet, demandant à chaque instant des nouvelles et croyant entendre du bruit à toute minute. Mme de Lamballe n’eut point l’air de savoir qu’on criait Vive le duc d’Orléans ! et lui-même n’en parla pas. Il paraît que personne ne savait où il était, car pendant tout le temps il ne vint qui que ce fût demander à lui parler.

[Je tiens cette anecdote de la marquise de Las-Cases[1], notre parente, dame d’honneur de la princesse de Lamballe, qui était présente.]

La veille du jour que le Roi alla à Paris, nous passâmes la soirée chez M. le duc de Sérent ; il nous cacha son départ pour les pays étrangers avec les princes, mais il avait les larmes aux yeux, ainsi que sa famille, en nous quittant. Nous restâmes sans nous coucher. Nos fenêtres donnaient sur la rue des Réservoirs, nous étions dans cette partie du château qui touche l’Opéra. Toute la nuit, on entendit des voitures, des chevaux, des signaux pour se reconnaître ; les écuries de M. de Sérent étaient vis-à-vis

  1. Rose-Raimonde de Budes de Guébriant, née le 31 janvier 1756 au château de Coëtilliau, en Bretagne, mariée, en 1776, à Pierre-Jean, marquis de Las-Cases-Beauvoir, morte le 19 juillet 1810, au château d’Azay-le-Rideau, Indre-et-Loire