Page:Victoire de Donnissan de La Rochejaquelein - Mémoires de Madame la marquise de La Rochejaquelein, 1889.djvu/53

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huit cents gardes du corps et les deux cents chasseurs, qui étaient déjà à cheval, auraient volé pour le délivrer, et les Parisiens, surpris de cette brusque attaque, se seraient culbutés les uns sur les autres ; mais par malheur le Roi arriva ; il s’enferma dans son cabinet avec le perfide Necker[1] et ses autres ministres, dont bien peu étaient purs.

On ferma les portes du château ; tout y était en désordre, une foule de personnes couraient les galeries ; il y avait environ deux mille hommes dans le château, la plupart gentilshommes : ils étaient en habit habillé, chapeau sous le bras, n’ayant pour armes que leurs épées, quelques-uns avaient des sabres et des pistolets ; le tout ensemble excitait la pitié : leur bonne volonté et leur ridicule comme militaires. Tout le monde était ahuri. Nous allâmes dans le salon d’Hercule, avec beaucoup de dames, pour voir par la fenêtre ce qui se passait dans les cours : environ six cents hommes ou femmes, et surtout hommes habillés en femmes, étaient sur la place d’Armes ; ils étaient déguenillés, armés les uns de faucilles, les autres de piques. Ils avaient traîné deux petits canons et criaient : Du pain. Tout le monde sait qu’il y avait une disette, feinte au fond, mais très réelle pour le particulier ; elle s’étendait à Paris, Versailles et environs.

Cet amas de misérable était l’avant-garde de Paris : le peuple de Versailles s’y joignait un peu, mais il était encore retenu par l’incertitude.

Les gardes suisses étaient rangés en bataille, à droite sur la place d’Armes, le régiment de Flandre à gauche ; cinquante cavaliers de maréchaussée et les deux cents chasseurs y étaient aussi ; huit cents gardes du corps à cheval se tenaient devant la grille de la cour des Ministres, en dehors ; un piquet de

  1. Jacques Necker, né à Genève en 1732, d’abord banquier à Paris, fut directeur général des Finances de 1776 à 1781, puis en 1788 et 1789 ; il se retira, en 1790, dans sa terre de Coppet, près Genève, et y mourut en 1804.