Page:Victoire de Donnissan de La Rochejaquelein - Mémoires de Madame la marquise de La Rochejaquelein, 1889.djvu/54

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gardes suisses était à chaque porte extérieure, et des gardes du corps à pied, aux portes intérieures.

Nous regardions toutes ces dispositions ; quand nous vîmes un officier des gardes du corps qu’on emportait ; on le fit entrer dans la cour, et on le déposa chez M. de la Luzerne[1], ministre de la Marine et ministre fidèle. C’était M. de Savonnières ; il venait de recevoir au bras une blessure dont il est mort au bout de quatre mois ; il s’était séparé de trois ou quatre pas de sa troupe, il avait été tiré à bout portant. En recevant le coup, il s’écria : « Mes camarades, ne me vengez pas ; attendez les ordres du Roi, défendez-le. » Nous fûmes très saisis de ce spectacle, d’autant plus qu’il y avait plusieurs femmes d’officiers des gardes du corps à la fenêtre, avec nous. Cependant ce ne fut qu’un incident particulier, et on ne fit rien de plus. Il faut l’attribuer à ce que les patriotes en voulaient personnellement à M. de Savonnières, parce qu’il se distinguait par son courage et qu’il avait escorté M. Necker, comme je l’ai déjà dit.

Nous rentrâmes dans notre appartement et en sortîmes plusieurs fois ; il va sans dire que mon père ne quittait pas Monsieur. Tantôt on disait que toute la garde nationale arrivait, tantôt que c’était un faux bruit. Enfin, à neuf heures du soir, nous entendîmes le tocsin que le peuple sonnait. On fit rentrer les gardes du corps dans leur quartier, et, pendant ce temps, on tira sur eux : ce fut en partie ces misérables venus de Paris, dont le nombre augmentait à chaque instant, en partie la garde nationale de Versailles. On ne doit pas oublier que M. Collet, qui en était un des capitaines, se jeta entre le peuple et les gardes du corps et reçut deux coups de fusil : cela fit cesser le feu. Les gardes du corps, qui avaient l’ordre de ne pas riposter, se retirèrent.

  1. César-Henri, comte de la Luzerne, né à Paris le 23 février 1737, lieutenant général en 1784, ministre de la Marine de 1787 à 1790, émigra et mourut en Autriche, à Bernau, près Wells, le 24 mars 1799.